Vertige

Tic tac tic tac
Déjà sept minutes de perdues à contempler une page désespérément blanche. Mes doigts sont suspendus au dessus du clavier mais ignorent ce qu’ils doivent taper. Pourquoi pas une histoire tragique, de quoi faire verser une petite larme aux plus sensibles ? Ou encore un récit comique, dans la lignée directe de tout ce que j’ai entrepris jusqu’alors ? Une pincée d’esprit, un bon litre de cynisme, quelques brins d’imagination, une cuillère à soupe de naïveté…et ainsi de suite jusqu’à la fin de ma recette. Un billet de mauvaise humeur ? Une courte nouvelle avec jeux de mots et descriptions à foison ? Deux-trois lignes sur le boulot, le quotidien, les gens, la vie? Une pérégrination quelconque, un exercice de style pour occuper un tant soi peu le chaland ?
Je ne sais pas.

Tic tac tic tac !
Quinze minutes et toujours rien. Le flou. L’absence. J’ai beau fouiller dans le grenier qui me sert de tête, je n’y trouve rien de consommable, rien de suffisamment nourrissant. Je suis perdue dans cet immense trou noir. C’est le bordel à l’intérieur, alors comment se fait-il que je n’y trouve absolument RIEN ? Je dois. Il le faut. Pourquoi je n’y arrive pas ? Mon monde est creux, insipide, inutile. Peut-être a-t-il fini d’épuiser ses maigres ressources. Dois-je aller voir un peu plus loin, regarder, écouter, explorer, ou fouiller davantage mon métro-boulot-dodo, bien en profondeur, afin d’y débusquer une nouvelle histoire ? Que peut-il y avoir d’intéressant dans la vie de tous les jours ? Mais que pourrais-je découvrir de plus trépidant dans de nouveaux horizons ?

Tic tac tic tac !
Vingt-sept minutes de questions. Je n’ai que peu de temps. Je dois comprendre. Je dois trouver. Soixante minutes, c’est bien assez pour s’ennuyer mais si peu pour dénicher quelque chose à raconter.
J’ai l’impression que tout ceci ne me mène nulle part. Je ne suis pas écrivain. Ni conteur. Ni auteur. Ni rien du tout. Ah ! Qui suis-je, moi, cachée derrière ma Fée, pour avoir le droit au chapitre ? Qui suis-je pour oser réclamer une toute petite miette d’attention ? Narcisse contemplait son superbe reflet dans l’eau de la fontaine et moi, j’observe attentivement les faibles nuances de mes statistiques, tout en m’admirant le nombril dans l’écran fumé de mon ordinateur ! Je ne suis qu’un être qui se pâme face au vide, qui se vante dans le néant, qui s’imagine que son avis, ses mots, ses beaux discours valent quelque chose, que certains, même, donneraient beaucoup pour pouvoir en profiter. Je m’impose un rythme, un nombre de ligne, des sujets, des formules… Superflus !
Je me dis qu’il faut savoir tenir le lecteur en haleine, susciter en lui le désir d’y revenir encore et encore. Je suis en quelque sorte la maquerelle de ma Fée. Elle en donnera toujours plus à son cercle réduit d’habitués et ce pour une somme scandaleusement modique. Je me dis que, justement, parler de cul, c’est une chose que je n’ai pas l’habitude de faire, que cela m’amuserait un peu, serait un bon exercice pour un éventuel roman et appâterait probablement un lectorat nouveau… et quelques obsédés de la toile en prime ! (ce qui aurait au moins le mérite de me distraire lorsque je m’ennuie au travail). Mais je songe qu’après tout, ce n’est peut-être ni l’endroit ni le moment pour ce genre d’expériences…

Tic tac tic tac… quarante-huit minute à brasser de l’air chaud.
Je me morfond, voir même, je fond. Je n’ai toujours pas la moindre idée de la tournure à donner à ma pauvre Fée. Elle s’ennuie, elle aussi, et se demande si je ne la prends pas un peu pour une gourde ! Je lui avais promis la lune, deux ou trois textes par mois, quelques lecteurs réguliers et peut-être davantage, avec un peu de chance et de culot. Elle s’imagine que je lui ai menti, que j’ai perdu l’envie et la force de faire tourner cette minuscule baraque. Comment lui dire qu’elle se trompe ? Que ce que j’aime par dessus tout, c’est secouer en cadence mon petit univers ? Elle refuse de comprendre et me laisse seule avec mes bêtes noires et ma boite pleine de vide.

Tic tac tic tac ! Cinquante-sept minutes ? Trop tard pour une balade au pays des Merveilles…

Commentaires