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Affichage des articles du 2021

La Bonne aventure

Le premier de la journée a gratté timidement la porte. Encore un qui n'a pas lu le panneau "entrez sans frapper : consultation en cours" ! Je me suis penchée pour le voir s'installer dans la salle d'attente à travers le rideau de perles. C'était sa première fois. Un type tout gris, la quarantaine, longiligne, avec un air de lièvre apeuré. Je l'ai fait poireauter une dizaine de minutes, le temps de voir comment il évoluait dans cet environnement inhabituel. Il a jeté un regard circulaire et suspicieux aux thèmes astraux, aux cristaux, aux tapisseries multicolores et aux magazines new-age. Puis évidemment il a dégainé son portable. Ses sourcils se sont crispés et il s'est mis à pianoter nerveusement. Encore un intoxiqué du travail ! Profitant du fait qu'il ne m'avait toujours pas vue, je me suis penchée davantage. Un énergumène pareil, c'est rare dans ma profession. Je l'ai observé comme un ornithologue détaille une nouvelle espèce. Comme

Boudin

Je me souviens que j'étais pas jojo, une expression toute droit sortie des années 80 et du répertoire de ma mère. La dernière fois que je l'ai entendue prononcée par quelqu'un d'autre c'était dans un épisode de Kaamelott (Arthur à Venec : « Bah déjà vous êtes né ! Alors, ça, c'est pas bien jojo... », pour ceux qui se poserait la question.)  Dans le cas présent, je trouve qu'elle illustre assez bien la réalité de l'époque : j'étais pas jojo. Pas moche de chez moche, mais clairement pas top, le genre de nana qui s'en fiche, « qui ne fait pas d'effort, qui ne prend pas soin d'elle »... voilà ce qu'on dit quand on est con et qu'on s'imagine que l'apparence d'une fille est une affaire d'état !  Je sais qu'en ressortant de vieilles photos d'eux, certains n'en croient pas leurs yeux, et leurs amis encore moins « Comment, c'était toi, ce truc ? » Pour moi, pas de doute : j'étais bien cette fille aux che

Larguer les amarres

Au début, je me suis dit que c’était de la folie : on ne plaque pas tout sur un coup de tête. Je ne voulais pas faire comme tous les autres qui galèrent plusieurs année, doutent, angoissent « et si ça ne prenait jamais fin ? ». Il y a deux ans, tout était clair : pas question de lever les voiles sans avoir une idée de la distance à parcourir, du temps que durerait le voyage. Pas question d’errer sans but sur la mer des illusions dans mon vaisseau-fantôme tout en projets inaboutis. Pas question de plonger les yeux fermés, après tout on verra bien de quoi sera fait demain ! Cela fait maintenant deux ans que j’attends qu’on me donne l’opportunité, les moyens, de mettre les bouts. Il y a eu des tentatives, des bouteilles à la mer, des rencontres et des échecs… Et désormais, ce qui me parait le plus dingue, c’est de mettre en suspend sa vie jusqu’à ce que quelqu’un, un illustre inconnu, un super-héros improvisé, nous donne le droit de la vivre. Le plus énervant, c’est de continuer à broyer

L'autre

Comment on l’arrête, la petite musique de l’échec ? Comment la faire taire, cette voix gutturale qui me braille des monstruosités ? Comment l’étouffer avec son propre venin ? Je sais que je ne devrais pas y prêter attention, mais elle parle tellement fort, on n’entend qu’elle.  Elle me dit que je n’arrive à rien, que je ne le mérite pas, que je vais tout saboter comme d’habitude. Quel plaisir elle peut bien prendre à m’écraser de la sorte, à me voir paniquer et tout gâcher ? Y’en a qui aiment la peinture, d’autres le sport, les animaux, la lecture, les voyage… Elle, son kiffe, c’est de casser ceux qui sont déjà en morceaux. A quoi ça sert d’enfoncer à coup de rangers une porte déjà grande ouverte ? C’est pas comme si un matin, j’allais me réveiller convaincue de pouvoir décrocher le prix Nobel de Physique ou de faire le tour du monde en trottinette. J’ai déjà des objectifs modestes, on est peut-être pas obligé de shooter dedans comme dans un château de cartes, si ?  Je voudrais lui c

Bonjour

Quand j'étais petite, j'étais très timide (mais, vraiment vraiment très timide). C'était donc l'Everest pour moi de dire "Bonjour" aux gens, mais j'y parvenais bon gré mal gré. C'est pourquoi, j'ai toujours une tolérance émue pour les enfants qui se recroquevillent dans leurs doudounes quand on leur demande de dire "Bonjour" ("merde, quand même, Chloé, c'est pas compliqué ! Excusez-la, elle est timiiiide !")  Plus tard, on m'a imposé un nouveau challenge : il fallait dire "Bonjour, monsieur" ou "Bonjour, madame" le cas échéant. C'était le level 2 du grand jeu des interactions sociales.  Moi, je ne voyais pas trop l'intérêt, mais on m'a assuré que "Bonjour-tout-court", c'était impoli (allons bon !). Il était donc fréquent que l'on réplique un cinglant "Bonjour qui ?!" ou mieux "Bonjour, mon chien ?!" à mon "Bonjour" péniblement chuchoté. Je pe