Larguer les amarres

Au début, je me suis dit que c’était de la folie : on ne plaque pas tout sur un coup de tête. Je ne voulais pas faire comme tous les autres qui galèrent plusieurs année, doutent, angoissent « et si ça ne prenait jamais fin ? ». Il y a deux ans, tout était clair : pas question de lever les voiles sans avoir une idée de la distance à parcourir, du temps que durerait le voyage. Pas question d’errer sans but sur la mer des illusions dans mon vaisseau-fantôme tout en projets inaboutis. Pas question de plonger les yeux fermés, après tout on verra bien de quoi sera fait demain !

Cela fait maintenant deux ans que j’attends qu’on me donne l’opportunité, les moyens, de mettre les bouts. Il y a eu des tentatives, des bouteilles à la mer, des rencontres et des échecs… Et désormais, ce qui me parait le plus dingue, c’est de mettre en suspend sa vie jusqu’à ce que quelqu’un, un illustre inconnu, un super-héros improvisé, nous donne le droit de la vivre. Le plus énervant, c’est de continuer à broyer du noir, à entrevoir un mirage de futur par le petit bout d’une lorgnette, telle une île paradisiaque sur laquelle on ne jettera peut-être jamais l’ancre.

A l’heure actuelle, je peine à me satisfaire de ce que j’ai. L’être humain est comme ça : versatile, inconstant, exigeant. J’ai envie d’avoir le choix. Je ne dis pas que c’est très raisonnable, mais il faut que je vous avoue : j’en ai plein le cul d’être raisonnable ! J’ai passé 34 ans à être raisonnable et si ça se trouve, je ne pourrais même pas avoir 34 ans de folie pure en contrepartie. C’est injuste ! J’ai passé ma jeunesse à me dire « non ce n’est pas prudent, non ça ne se fait pas, non ce n’est pas réaliste », des années à danser prudemment sur des œufs de Fabergé en faisant le moins de bruit possible. Tout ça parce que je suis morte de trouille ! Car qu’y-a-t-il de plus flippant que le changement ? Mais si la moi d’il y a 20 ans me voyait, elle me balancerait des cailloux ! Bien sûre, elle aussi était terrorisée (par les lendemains qui chantent pas, les contrôles de maths, le cours d’athlétisme, le gros con de la récré, les amis pas toujours sympas, les amours qui n’arrivent pas…), mais jamais elle n’aurait accepté l’idée que le travail est la seule porte de sortie vers une nouvelle vie. Sinon, forcément, elle n’aurait pas voulu faire un métier qu’elle aime ; juste un truc à la con qui rapporte pour se mettre à l’abri du besoin…

Le plus bête dans tout ça, c’est que si je ne prends pas gare, dans 10 ans, j’en serais au même point. Alors OK, en bonne froussarde, un avenir incertain, douloureux à appréhender ne me fait pas spécialement envie. Mais ce que je veux encore moins, c’est faire partie de ceux qui balancent d’un air blasé, presque revanchard, à d’autres qui rêvent encore : « Bah bon courage, parce que nous ça fait 10 ans qu’on veut bouger ! ». Ce que je veux encore moins, c’est la solution confortable de ceux qui n’ont rien tenté, qui ont attendu, par prudence, par crainte, par flemme et qui sur le tard, découvrent, bien niché au creux d’un quotidien rassurant, le poids insupportable des regrets et des « on aurait dû… » 


Et ça, la moi d’il y a 20 ans, elle aurait franchement du mal à le digérer !

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