Bonjour

Quand j'étais petite, j'étais très timide (mais, vraiment vraiment très timide). C'était donc l'Everest pour moi de dire "Bonjour" aux gens, mais j'y parvenais bon gré mal gré. C'est pourquoi, j'ai toujours une tolérance émue pour les enfants qui se recroquevillent dans leurs doudounes quand on leur demande de dire "Bonjour" ("merde, quand même, Chloé, c'est pas compliqué ! Excusez-la, elle est timiiiide !") 

Plus tard, on m'a imposé un nouveau challenge : il fallait dire "Bonjour, monsieur" ou "Bonjour, madame" le cas échéant. C'était le level 2 du grand jeu des interactions sociales.  Moi, je ne voyais pas trop l'intérêt, mais on m'a assuré que "Bonjour-tout-court", c'était impoli (allons bon !). Il était donc fréquent que l'on réplique un cinglant "Bonjour qui ?!" ou mieux "Bonjour, mon chien ?!" à mon "Bonjour" péniblement chuchoté.

Je peine encore à comprendre en quoi cette contrainte supplémentaire nous fait paraitre plus poli. En effet, ayant à l'époque des difficultés (toujours la timidité) à regarder les gens dans les yeux (la différence de taille jouait probablement un peu), il n'était pas rare que je me trompe en assénant un "Bonjour, madame" à un monsieur à la chevelure mirobolante et un "Bonjour, monsieur" à une dame à la voix de stentor. S'en suivaient railleries et autres "Excusez-la, elle est simplette !"

Plus tard, j'ai eu la confirmation que les "Bonjour + Mme/Mr/Melle" (rayez la mention inutile) provoquaient parfois des conflits sanglants. Par exemple, dans mon premier job, j'ai survécu à une cliente qui souhaitait qu'on lui donne du "Mademoiselle" à tout va, malgré ses 60 ans bien tassés. Mon avantage ? Lui avoir simplement dit "Bonjour" au lieu du "Bonjour, madame" de rigueur. Une autre saisonnière n'a malheureusement pas eu cette chance ! Lui répondant au téléphone par un chaleureux "Bonjour, madame !", elle s'est cordialement faite engueuler pendant 20 minutes, bégayant compulsivement des "madame" et des "mademoiselle" sous le coup de la pression. Franchement, quand on voit dans quel état de nerfs ça peut plonger les gens, n'est-ce pas préférable de miser sur la simplicité ? 

Mais pourquoi je vous raconte ça ? me demanderiez-vous si je vous laissais en placer une. Et bien parce que dernièrement, je suis allée chez le coiffeur. Quel rapport avec le pâté ? ajouteriez-vous, un brin agacé. Le rapport, c'est que j'ai recoupé très court, façon Jean Seberg, que de manière générale, je me maquille peu, qu'en ce moment, je vis masquée 10 heures par jour et que même s'il m'arrive de porter des robes, des bijoux, ce n'est pas toujours flagrant pour mon interlocuteur. Du coup, cela fait deux semaines que des gens qui ne me regardent pas quand ils me parlent m'admonestent des : "Bonjour, monsieur !" en passant la porte. Avant, bien entendu, de s'excuser platement comme s'ils avaient insulté ma mère. Moi, ça me fait rire la plupart du temps (surtout qu'un collègue barbu aux cheveux longs a le droit quand à lui à "Bonjour, madame" depuis que le bas de son visage est caché). 

D'autre fois, par contre, ça m'agace prodigieusement. Il s'agit de personnes adultes (donc certainement familière de ce qu'on peut ou non faire en société) qui débarquent, me scrutent du coin de l’œil, hésitent, puis se tournent vers leur progéniture en disant assez fort pour que je les entende (histoire, sûrement, que je fasse le premier pas) : "On va demander, mais je sais pas si c'est un monsieur ou une dame".

Alors selon vous, qu'est-ce qui peut sembler le plus impoli ? Arriver dans un endroit, ne pas saluer du tout la personne qui vous accueille et parler d'elle comme si elle n'était pas là ? Ou bien lui adresser un franc et joyeux "Bonjour", sans s'emmerder avec la mention inutile ? C'est à chacun d'en décider, mais pour ma part, je vous le dit tout net : la prochaine connasse qui se permet de débattre de mon genre supposé dans l'entrée, je lui balance un tonitruant : "C'EST UNE DAME, QU'EST-CE QU'ELLE PEUT FAIRE POUR VOUS ?"

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