Boudin

Je me souviens que j'étais pas jojo, une expression toute droit sortie des années 80 et du répertoire de ma mère. La dernière fois que je l'ai entendue prononcée par quelqu'un d'autre c'était dans un épisode de Kaamelott (Arthur à Venec : « Bah déjà vous êtes né ! Alors, ça, c'est pas bien jojo... », pour ceux qui se poserait la question.) 

Dans le cas présent, je trouve qu'elle illustre assez bien la réalité de l'époque : j'étais pas jojo. Pas moche de chez moche, mais clairement pas top, le genre de nana qui s'en fiche, « qui ne fait pas d'effort, qui ne prend pas soin d'elle »... voilà ce qu'on dit quand on est con et qu'on s'imagine que l'apparence d'une fille est une affaire d'état ! 

Je sais qu'en ressortant de vieilles photos d'eux, certains n'en croient pas leurs yeux, et leurs amis encore moins « Comment, c'était toi, ce truc ? » Pour moi, pas de doute : j'étais bien cette fille aux cheveux mi-long gras. Un épis indomptable au milieu de ma frange la scindait en deux antennes huileuses qui encadraient mon front. J'ai porté pendant 4 ans des bagues qui ont étouffé chez moi toutes velléités de sourires (je me réveille encore en sursaut en passant fébrilement la langue sur mes dents). Il fleurissait quotidiennement sur mon nez et sur mon menton quantité de chtars rouges coquelicots (c'est toujours mieux que blanc, on est d'accord) qui ont su agrémenter avec goût chaque cliché de l'époque. Je n'ai pas beaucoup changé : disons que je suis toujours moi, mais en mieux. Du coup, c'est vrai que quand j'entends des trentenaires regretter le physique de leur 15 ans, ça me laisse légèrement tiède...

Pourtant, je me souviens très bien qu'être considérée comme un thon par mes camarades de classe, c'était pas une finalité en soit. Je me suis pas dit en entrant en 5e : allez, zou, ces décidé, durant les 3 prochaines années, je vais tout mettre en œuvre pour être la fille « bof-bof » de la classe ! C'est pas un projet de vie ça, et puis c'est tellement plus facile, d'être jolie (pas canonnissime, juste pas trop mal dans sa peau, quoi). Disons, que déjà on te fait moins chier...

Je parle pas des vieux tocards dans la rue qui sifflent des gamines de 12 ans alors que clairement, ils feraient mieux de s'auto-lobotomiser avec une cuillère à pamplemousse. Ceux-là de toute façon, ils s'en prennent à tout ce qui est féminin et qui arpente le bitume ! Non, je parle de ces créatures boutonneuses, dégingandées et à la voix de crécelle qu'on nomme « adolescents » et qui sont prêts à toutes les bassesses pour paraître les moins nases de la meute. Du coup, je vous disais, quand on est vaguement potable ou qu'au moins on la boucle, on a pas de souci à se faire : on est un caméléon dans le cour de récré et on peut raser les murs prudemment jusqu'à la seconde (voir jusqu'à la fac, si on tombe dans un lycée de teubés !).

Moi, manque de bol, non seulement j'étais pas terrible, mais en plus j'ouvrais ma gueule...enfin disons que je la fermais pas autant que j'aurais dû et pas toujours pour dire des trucs malins. 

Mais c'est vrai aussi, pourquoi diable aller s'insurger contre des lois, toute droit sorties de la Guerre du feu, institués par des petites merdouilles prépubères avec trois poils sur le menton et des voix de pigeons énervés ? C'est quoi cette attitude de féminazie hystéro qui braille dès qu'on lui donne un coup de flûte dans les seins (vécu), qu'on lui balance un critérium dans l’œil (idem), qu'on disperse ses protections périodiques dans la classe ou qu'on lui crache dessus (devinez ?). Les autres mochetés, au mieux elles sont gentilles et rigolotes, au pire elles font profile bas !

En fait, avec le recul, je me rends compte que, dans leurs cervelles de lézards neurasthéniques, mon droit à l'ouvrir, j'aurais dû officiellement y renoncer en même temps que mon intérêt pour les fringues, le maquillage, la coiffure. Si t'es pas trop laide, que tu joues le jeu de la séduction en faisant chauffer comme il se doit la carte bleu de papa-maman, que tu respectes la hiérarchie institutionnelle...normalement t'as pas trop de souci à te faire. Moi, j'étais pas jojo, je pensais que le maquillage était une perte de temps, j'avais pas une fringue à moi dans ma penderie (toutes avaient soit appartenu à ma sœur, soit à ma mère) et je m'en tapais parce qu'elles étaient chouettes (de mon point de vue, mais dans le monde réel, elles étaient forcément ringardes) et en bon état. Et comble de l'horreur, j'étais pas commode ! Ça justifiait bien un peu de foutage de gueule, non ? 

Mais ces mecs, ces demie-portions aux survêtes Sergio Tacchini rentrés dans leurs chaussettes puma avec leur blouson Schott dégueulasse et l'élastique de leur boxer qui dépasse... franchement, vous voyez le tableau ? Qui a décidé qu'eux, ils étaient exempts de tous reproches, qu'ils avaient le droit de se saper comme des gueux, de ne ressembler à rien, tandis que mois, criminelle multirécidiviste de la mode, j'ai dû investir dans des chaussures de marque et arrêter de porter mon pantalon à fleurs préféré, parce que ça le faisait pas ? C'est quand même pas juste, hein ? … Et après on se demande pourquoi je faisais la gueule !

Pourtant, malgré une collections de tares longue comme ta b....euh comme un jour sans pain, quand j'ai demandé à un ami comment m'améliorer, vous savez ce qu'il m'a répondu, c't'enflure ? "Lave toi les cheveux plus souvent" ? Non. "Utilise une poudre minérale pour masquer ces vilains boutons" ? Non plus. "Qu'ils aillent tous se faire cuire le cul" ? Encore moins !

Non, cet ami, ce frère d'une autre mère, a simplement répliqué : « Le problème, c'est la forme de ton nez. Il est bizarre... Mais sinon, à part ça, ça vaaa... »

Mon nez ! Sérieux ? J'y aurais jamais songé ! Je l'ai examiné sous toutes les coutures pendant plusieurs semaines, j'ai demandé à mon entourage ce qui clochait chez lui, ainsi que des précisions à cet « ami » qui n'était pas foutu de développer au delà du « bizarre »... Je savais même pas ce que j'étais censée en faire s'il me prenait l'envie de lui régler son compte sur le billard ! Et puis au bout d'un moment j'ai compris. Je me suis dit que de toute façon, la tronche que j'avais, le poids que je faisais, la forme de mon nez, de mon menton, de mes sein, de mes fesses...tout le monde trouverait forcément quelque chose à en redire, quand bien même je serais foutue comme Beyoncé. Mon corps, mon allure, ça concernait beaucoup de gens en définitive : ma famille, mes amis, mes ennemis, mêmes de parfaits inconnus. Tous avaient leurs mots à dire. Mais pas moi, évidemment. Et alors, oui, ça s'est confirmé : comme je le pensais depuis un bout de temps, c'était vraiment pas juste !

Du coup, j'ai suivi mon petit bonhomme de chemin. A ce moment là, lorsque cette cruelle révélation s'est imposée à moi, je devais avoir quasiment 15 ans : j'ai fait profile bas, comme les autres. J'ai renouvelé ma garde robe, histoire qu'elle soit bien passe-partout. Et j'ai attendu en silence...

Puis, au retour des beaux jours, il s'est passé un truc de dingue : les bagues sont enfin parties, j'ai réussi à me débarrassée de ma frange grasse (après de longs mois avec une gueule de pékinois), les boutons se sont fait moins nombreux : je suis rentrée au lycée et du même coup, je suis devenue potable. Wouah ! Nouveau physique, nouvelle école : c'était l'occasion rêvée pour changer un peu mon image.

Mais alors, allais-je profiter de ma nouvelle tête pour participer à un concours de Miss Seine-Saint-Denis ? Me lancer corps et âme dans la lutte contre le harcèlement scolaire ? Faire le tour du monde à cloche pied en talons aiguilles ? User de mon nouveau super-pouvoir pour coucher avec le plus de mecs possibles et les larguer comme des merdes ? Nan. Au lieu de ça, j'ai tenté d'obtenir ce dont on m'avait privée pendant tout le collège : le respect. 

J'ai traîné avec des gens sympa à qui je balançais de temps à autre des répliques piquantes, façon Daria Morgendorfer, la méchanceté en moins - parce que j'avais quand même besoin d'être aimée et que j'étais pas con au point de faire subir aux autres ce que j'avais moi-même subi ! Et vous savez quoi ? Ça a marché : ils m'ont trouvée drôle, intéressante et grinçante. J'avais plus besoin d'être énervée (du moins pas contre eux), j'étais sûrement pas une bombasse (le ciel m'en préserve), j'avais plus d'appareil dentaire : du coup, j'ai réappris à sourire ...et à mordre !

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