A auteurs d'hommes


Quelle idée se fait-on d'un écrivain? Comme pour toute profession, il va de soi qu'il ne peut échapper à un certains nombres de clichés. Par exemple, imaginerait-on un bûcheron sans une paire de bottes, une autre de bretelles, une chemise à carreaux verte et rouge, une barbe sombre et la sacro-sainte hache? Non! Et bien l'écrivain pareil! A ceci près qu'il est parfaitement inutile et déconseillé de taper sur son clavier à coups de hache. Au fil du temps, on est parvenu à dresser plusieurs portraits « types » de l'auteur. L'auteur de romans sentimentaux n'a pas le même profile qu'un poète ou un auteur de Fantasy. Le lecteur s'invente un écrivain, physiquement et intellectuellement conforme à l'univers qu'il dépeint dans son œuvre.

On imagine aisément le premier comme une citadine futile et excentrique à la Carrie Bradshaw, habitant un loft luxueux et trouvant l'inspiration en sirotant un café Starbucks sur un banc de Central Park, après une intensive séance de shopping. Mais il ne faut pas trop tarder car ce soir, c'est sortie en boite avec les autres ; et le chapitre 4 n'est toujours pas bouclé! L'éditrice (qu'on appelle par son prénom, c'est tellement plus convivial!) l'attend pour lundi matin, 9h, sans faute. A ce propos, ne pas oublier de passer au Ginger Café pour acheter une fournée de ces petites brioches dont l'équipe raffole... La réunion ne durera probablement qu'une heure ou deux, elle aura sûrement le temps de faire un saut au spa avant de déjeuner avec Pépette. Un moment de détente bien mérité! Ses histoires paraissent presque autobiographiques, tant ses héroïnes semblent tout droit issues d'une après midi potins entre copines. Elles sont sophistiquées, intelligentes, pleines aux as ou pas bien loin, ont un goût exquis, des activités passionnantes et un sens de l'humour décapant. Mais pourquoi diable le grand amour ne vient-il pas frapper à leurs portes? Parfois la vie est si injuste!

Le second par contre aurait tout de l'artiste maudit. On le voit très bien assis sur une chaise très classique, plume-bic-crayon à la main, devant son misérable bureau, uniquement orné d'un amas de feuilles et d'une bougie à demi fondue (l'électricité a été coupée quelques jours plus tôt, les factures n'ayant pas été réglées). Des boulettes de papier grisâtres jonchent le parquet et la corbeille métallique en déborde. Il est mal rasé, mal coiffé, mal habillé. Bref, il n'a pas pris une douche depuis au moins dix jours tant son travail l'obsède et le mine. Il tousse, tout emmitouflé qu'il est dans un manteau trop grand pour lui et une écharpe en laine mélangée ('manque plus que les mitaines et le bonnet mais, comme c'est un homme bon, il en a fait cadeau à une petite vendeuse d'allumettes) car, bien évidemment, point de chauffage! Dans un coin de la pièce, cette modeste chambre de bonne au dernier étage d'un immeuble haussmannien, un lit à l'ossature tremblante et à la couverture mitée ; à l'autre bout, une gazinière rouillée et, juste à côté, un lavabo pourvu d'un bout de savon sale, d'une serviette et d'un gant de crins. Les toilettes, bien évidemment, sont sur le palier.
Cette figure de l’artiste est celle que l’on invoque parfois pour regretter l’incapacité du commun des mortels à comprendre l’Œuvre. D’une part, la meute cruelle des éditeurs pingres et sans vergogne, et d’autre part, la foule ignorante, ébahie devant une banalité et une bêtise incommensurable. Elle est donc utile à quiconque veut justifier son absence de talent et d’inspiration en rejetant la faute sur autrui, plutôt qu’en se résignant à grandir un peu et à trouver un « vrai boulot ».

L’auteur de Fantasy et autres ouvrage de science-fiction est de celui qu’on imagine bouffé littéralement par sa création…et par World of Warcraft. Puisqu’il s’agit d’un genre méprisé et bien en deçà de la Littérature (avec un grand et beau L), on peine en effet à le voir comme un écrivain maudit. Il serait plutôt du genre à profiter du confort parental passé trente-cinq ans, à se goinfrer de cochonneries diverses et à ne dormir que quatre heures par nuit. Le reste du temps, il demeure vissé devant son ordinateur, sirote café sur café, alternativement devant des forums de fans de comics, le site de pôle-emploi et son chef-d’œuvre inachevé en 5 volumes. Véritable génie de l’informatique, il n’hésite pas à réaliser des cartes, des graphiques, des tableaux et réuni ainsi une masse d’informations quasi-encyclopédique sur un univers virtuel, sa géographie, sa faune et sa flore. Un tel travail pourrait en éblouir plus d’un si l’auteur de romans de genre n’était pas d’emblée considéré comme un piètre homme de lettres. A quoi bon insister sur la violence d’une bataille si l’on est incapable d’aligner trois mots sur les nuances presque magiques du sang qui coule sur la neige !? Ainsi, l’auteur laissera derrière lui prêt de vingt romans, quinze recueils de contes folkloriques et une petite dizaine de poèmes épiques. Sa mère regrettera amèrement mais silencieusement qu’il ne se soit pas plutôt consacré au roman policier.

L’auteur de polars est un personnage respecté et respectable de la communauté littéraire actuelle. C’est un être curieux, grand amateur de faits divers et cul-et-chemise avec les inspecteurs de police et les légistes à cent kilomètres à la ronde Contrairement à l’écrivaillon de science-fiction, une grande partie de son travail se fait en extérieur : auprès des enquêteurs, des témoins, des familles, des journalistes… C’est un Homme compatissant, respectueux, sociable et ingénieux. Il se rapproche un peu, dans son mode opératoire, des auteurs d’histoires vécues et de témoignages, à ceci près qu’il utilise un vocabulaire plus chirurgical et lapidaire, au service de l’intrigue plus que de la sensibilité. Lui aussi se doit d’habiter dans une grande métropole puisqu’il ne saurait exister de crime et d’enquête loin de la civilisation. Il collectionne les armes anciennes et se passionne pour Jack l’Eventreur auquel, à n’en point douter, il consacrera un ouvrage dans un futur proche.
Comme la plupart de ses contemporains, il est bien évidemment contraint à la solitude par la place débordante qu’occupe son activité.

La solitude. Maitre mot de l’auteur misanthrope, lequel rédige généralement des œuvres mélancoliques sur toutes ces choses qui étaient « mieux avant » et nous entraîne dans de mémorables parties de campagne où les gens parlent d’amour, de la vie et de plaisirs simples. Le misanthrope aime à évoquer la simplicité du temps jadis comme s’il ne s’y passait jamais rien, comme si nos grands-parents avaient passé toute leur jeunesse à aimer, à chanter, à se rouler dans le foin, à organiser des pique-nique et des bals populaires. Il nous dépeint de fraiches jeunes filles innocentes et rieuses, qui dansent pieds nus dans l’herbes et font des colliers de fleurs des champs, des hommes gauches, ténébreux et méfiants qui se laissent finalement embarquer tels des enfants dans le tourbillon de la vie, des petits vieux sans âge, sources de fous rires et puits de sagesse, des bambins malins mais graves qui philosophent autour d’un feu de camp… L’auteur lui-même, s’est retiré au fin fond de la nature afin de mieux s’en imprégner. Il habite un chalet au creux des montagnes, passent l’été à voir le monde renaître et l’hiver à tenter de le décrire. Il refuse les séances de dédicaces, les salons, les interviews. On a pas besoin de l’auteur pour aimer son œuvre ; on a pas besoin des lecteurs pour aimer écrire.

Outre ces cinq exemples, on peut également évoquer brièvement la vieille fille qui défoule sa plume frustrée sur des romans d’aventure à mi-chemin entre le mélo-sentimentalo et le récit érotique pour mère-grand ; l’académicien, pipe au bec et flairant bon l’antimite, qui arbore tel un étendard une pelletée d’ouvrages tous plus incompréhensibles les uns que les autres ; la créature étrange qui s’est un beau matin réveillée avec l’idée fixe d’écrire des livres pour enfants plutôt que de retourner enseigner, soigner, plaider ou donner un concert à Las Vegas ; le digne héritier de Zola, l’auteur de théâtre, celui de romans historiques, d’ouvrages de développement personnel, …et tant d’autres que je passerais la nuit à énumérer.
Pour chacun d’entre eux, il existe une foule d’idées préconçues et de lieux communs. Mais si on mélange tout ce petit monde, on obtient finalement des caractéristiques variables, propres à n’importe quel être humain. Du coup, l’écrivain « type », ce pourrait être moi, ce pourrait être vous, ce pourrait être personne.

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