Mon petit soulier

Cher Père Noël,

Comment vas-tu ? Ça fait une sacrée paye que  je n’ai point donné de nouvelles. D’aucun diront que j’ai passé l’âge ou qu’avec le temps, on a tendance à perdre de vue les vieilles relations. Moi je pense plutôt que ma timidité naturelle est en cause. On a jamais été vraiment proches, à peine si on se croisait, de temps à autre, dans les supermarchés… tiens, ça me fait penser, je t’ai jamais envoyé la photo de nous deux. J’avais alors 6-7 ans et, pour tout te dire, j’étais morte de trouille. Eh bah oui, un vieil excentrique sorti de nulle part et qui rentre par effraction chez toi pour t’offrir des joujoux…l’air de rien, c’est très flippant ! Du coup, y’a fort à parier que notre amitié était uniquement platonique… et intéressée. C’est très certainement  pour ça que je voyais pas bien l’intérêt de t’écrire jusqu’à aujourd’hui.

J’espère que la grève des lutins contre la retraite à 208 ans n’a pas été trop virulente et que vous avez fini par tomber d’accord. Tu sais, j’y connais pas grand chose, mais je me dis que c’est bien dommage de se retrouver avec une lutinerie…pardon, une mutinerie, quand on voit la difficulté qu’on les jeunes lutins diplômés à trouver du boulot et les vieux à trouver le repos. M’enfin, pas de polémique en cette période de l’année. L’heure est à la fête, au sapin et aux petites lumières dans les rues et dans les yeux.
Sinon, comment ça se passe en Laponie, pas trop froid? On dit que t’as du bol, car la Mère Noël est une vraie chaudière au lit. Ici, il commence à faire frisquet, comme dirait l’arrière grand-tatie…qu’à peut-être bien le même âge que ta légitime, mais j’ose espérer que la comparaison s’arrête là. D’ailleurs c’est bien simple, je veux pas savoir!

Au bureau, les sapins sont déjà installés. D’ordinaire, j’aime bien décorer ces machins, rapport au fait qu’un sapin dans moins de 30 mètres carré, c’est pas vraiment conseillé, surtout avec un fauve de salon dans les parages. Pis me farder les cinq étages avec la souche et les épines, ça me botte que très moyennement…
Bon, revenons à nos guirlandes : habituellement, donc, j’aime bien ça, c’est mon côté mouflarde qui reprend le dessus. Mais cette fois, j’ai pas voulu m’en mêler. Je me voyais mal délaisser mon boulot, pour faire mumuse avec les décorations, et ainsi m’exposer aux reproches potentiels de mes contemporains. Je suis un peu parano, c’est vrai, mais on est jamais à l’abri d’un conflit diplomatique, d’un flagrant délit de tournage de pouces ou d’une mauvaise hiérarchisation des tâches. Alors d’accord, y’a certainement plus urgent, mais plus attrayant, par contre, je vois pas. Il doit probablement exister une loi physique à ce sujet et si ça n’est pas le cas, je serais flattée qu’on lui donne mon nom : « Toute mission capitale est dénuée du moindre intérêt. A l’inverse, toute chose passionnante est superficielle. »

Mais tu t’en doutes, Père Noël, je n’ai pas écrit (déjà) trois paragraphes pour te parler de notre ancienne amitié, de mon arrière grand-tante et des sapins qui bourgeonnent un peu partout. J’ai, bien évidemment, forcément, logiquement, quelque chose à te demander. Pour les cadeaux, pas d’inquiétude, je me débrouillerai. L’idée d’aller faire des emplettes au milieu d’une foule en délire m’enchante peu, mais j’estime qu’il serait pour le moins grotesque de réclamer six bouquins, une boite de chocolats et deux paires de chaussettes à un gars capable de faire le tour du monde en une seule nuit (peut-être plus, avec le décalage horaire). Non, Môssieur, car vous êtes le Père Noël et pas un simple employé de chez FedEx ! Alors, pour cette année, je veux plus. Oui, plus !
Je ne sais pas exactement quoi mais, bon sang, t’es le maître des surprises et des miracles, alors fait un effort !
Grosso-modo, je veux que ça s’arrange. J’en ai ras-le-sifflet de tous ces crétins qui se mettent sur la pomme, de ces nouilles qui n’ont pas compris que c’est pas parce que les autres seront plus heureux qu’eux-même le seront moins, de ces maboules qui se servent de la dignité humaine comme d’un paillasson, de tous ces allumés qui te crachent des arguments chimériques au visage pour un oui ou pour un non. Tous ceux-là, ils me courent grave sur le salsifis (parenthèse humoristique : que cri un légume qui en a assez ? « SALSIFIS ! »). J’ai pas forcément envie de retrouver un bazooka au pied du sapin, car, ça te semblera dingue, mais il se trouve que je suis non-violente ;  par contre, si par chance tu avais le pouvoir de les faire tous disparaître ou, mieux encore, de les rendre un peu moins tarte et bas du front, je te promets de laisser une assiette de cookies et un grand verre de lait sur la petite table de l’entrée.
Merci d’avance et bonne route.

Bien affectueusement,

Quelqu’un que tu auras reconnu, normal, quoi, t’es le Père Noël !

Ps : si vraiment t'y arrives pas, en guise de plan B, je veux bien un logement plus grand, pour pouvoir y caser un vrai beau sapin l’année prochaine.

Commentaires