Recette

Elle s’installe sur le siège face au mien et dépose sur celui d’à côté un sac à main gigantesque en cuire chocolat. C’est comme ça qu’on dit : « chocolat ». Plus marron, non. Chocolat, caramel, café. Et même pour dire « rouge » ou encore « rose », on parle de framboise, de prune et de groseille. A croire que la mode comble les carences de ses modèles avec des termes gourmands. Elle pose donc son sac chocolat sur le siège voisin et y fouille bruyamment pendant plusieurs minutes avant d’en extirper un poudrier et un pinceau.
Ouvre le premier, y plonge le second, se badigeonne généreusement tel un mille-feuille de sucre-glace, tout en fixant scrupuleusement le petit miroir. Et je vois disparaître sous mes yeux de spectatrice ébahie les plis, les cernes, les boutons, les rougeurs et même les grains de beauté. En cinq minutes à peine, le visage de ma voisine s’est métamorphosé : il est lisse, lumineux, irréel. Ce n'est plus un être humain mais une publicité ambulante. Bon, vu la couche de poudre, il y a fort à parier qu'elle est sponsorisée par Maïzena, mais tout de même ! C’est impressionnant !
Attention, mesdames et messieurs, le spectacle ne fait que commencer. Le poudrage n’était qu’un hors d’œuvre, voici donc le plat de résistance. Miss Sucre-Glace remise poudrier et pinceau dans son sac avant d’entamer une nouvelle chasse aux trésors, plus longue, plus palpitante que la précédente... Cette fois, elle brandit victorieuse une palette de paillettes pastelles,  un pinceau plus petit (décidément, madame est une artiste) et entreprend de se repeindre les volets. Les secousses du métro n’aidant en rien, elle se retrouve constellée de petites étoiles mauves. Elle ressort à nouveau le poudrier, jette un œil dans le miroir et époussette d’une main experte ses joues et le bout brillant de son nez.
Nouvelle incursion dans les tréfonds du sac : en ressortent mascara et crayon noirs. L’exploratrice magicienne ressemble désormais à une poupée. Mais la finesse de ses traits disparaissent rapidement sous deux parenthèses sombres qui lui mangent et lui durcissent le regard. Et qu’elle en rajoute encore avec de gros paquets de Rimmel ! La poupée se retrouve affublée de paires de cils en cartons et lorsqu’enfin, elle extirpe de sa besace gloss et rouge à lèvre violine pour s’en badigeonner les mandibules, je comprends qu’il en est fini de la publicité, fini de la jolie poupée et qu’aujourd’hui, devant moi, dans le métro, c’est bel et bien le carnaval.
Mais alors que je pensais pouvoir me lever et applaudir à tout rompre, la voilà de nouveau en scène, jouant furieusement de la brosse sur ses boucles brunes pour finalement les emprisonner dans un chignon maladroit qui penche clairement vers la droite. Après un dernier coup d’œil satisfait dans le miroir du poudrier, elle se lève, remballe ses accessoires ,puis tire sa révérence en sautant sur le quai.
Je la regarde s’éloigner songeuse. Je me dis qu’elle était plutôt jolie en arrivant, que dix ans soudain lui sont tombés dessus en même temps qu’un trop plein de maquillage, et qu’à défaut d’élégance et de naturel, elle ne passera certainement plus inaperçu…

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