Volcan

Tout a commencé par quelques fissures, sensibles, presque imperceptibles pour le quidam insouciant. Il prendrait, tout au plus, conscience d’un léger changement climatique, du comportement inhabituel de la faune. Mais pas de quoi s’inquiéter, vous en conviendrez.
Puis, un râle s’élève, long, puissant. La chose vous semble alarmante ? Pour quiconque habitué à ce type d’environnement, les grondements n’ont rien d’extraordinaire. Il serait d’ailleurs surprenant de n’en entendre jamais aucun. Bien sûr, cette fois-ci, ils se font plus sourds, plus insistants, mais chacun se rassure aussitôt : Mère nature est contrariée. La belle affaire ! Cela lui passera sûrement avant la fin du film du soir !
Pourtant, après une brève accalmie, les gémissements reprennent de plus belle, les fissures s’agrandissent et, tandis que tous dorment à poings fermés, un souffle chaud et toxique se déverse allègrement. Il tue. Il anéantit tout sur son passage. Compassion, sentiment et patience. Moralité, espoir et volonté.
Enfin, un long torrent de lave écarlate, tel des larmes brûlantes et amères, recouvre à jamais les vestiges du drame.

Je ne sais à quel moment précis l’implosion a eu lieu. Etait-ce un soir ou un matin ? Juste après le déjeuner ou quelques heures avant le souper ?
Tout a donc commencé par une légère fissure. Mon cœur s’est figé puis, lentement, s’est décomposé. Les regards se sont faits durs et nerveux. Les gestes sont devenus plus secs, presque mécaniques. Les mots fusaient dans ma tête, puis s’en allaient mourir sur mes lèvres. Je n’osais pourtant les prononcer à voix haute. Dire, c’était faire face ; dire, c’était admettre ; dire, c’était laisser place au malaise. Dans ma tête, les détails, les « pour », les « contre », les « à quoi bon ? » tournaient en boucle. A croire qu’à ressasser les choses, elles allaient finir par changer. A croire qu’à imaginer une alternative, celle-ci deviendrait vraie comme par magie. Mais rien n’y fit. Tout resta tel quel et, au fil des heures, mon être entier entra en éruption.
Quelle pouvait en être la cause exacte ? Déception ? Perte de temps ? Fatigue ? Sentiment d’injustice ? Intolérable vacuité ? Tout à la fois et bien davantage ? Impossible, aujourd’hui encore, d’en avoir le cœur net.
J’ai senti ce cri naître et grandir dans mon ventre, s’insinuer jusqu’à ma gorge, où il s’est mis à griffer, mordre et pousser pour que je le laisse sortir. Oui, j’aurais souhaité, j’aurais voulu, j’aurais adoré ouvrir la fenêtre et me mettre à hurler. Hurler à la lune tel un animal sauvage à moitié fou. Hurler à en faire péter les vitres, les tympans des voisins et mes pauvres cordes vocales. Pourtant je me suis contenue ; l’inconvénient, probablement, d’évoluer dans une ville, entourée d’individus sains d’esprit qui jamais, ô grand jamais, n’auraient l’idée saugrenue de cracher leur colère, leur désespoir ou leur ras-le-bol à la face du monde. Je n’ai pas crié. Non. J’ai ravalé ma rage, quitte à me brûler les entrailles. J’ai songé à aller prendre l’air, à aller courir, nager, cogner… Eprouver mon corps pour occuper mon esprit. Mais je n’ai rien fait. Rien si ce n’est attendre sagement la fin de l’implosion.

Petit à petit, la lave cessa d’inonder mes joues et mon cri intérieur replongea dans le sommeil.
Contre toutes attentes, le cataclysme fut donc pratiquement silencieux et ne fit, pour ainsi dire, aucune victime extérieure.

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