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Cher Facebook,

Tu me casses les pieds ! La vie avec toi, c’est une injonction perpétuelle au bonheur et à rentrer dans les petites cases.
Mais je te le dis en toute amitié : les gens n’ont pas toujours envie d’afficher leur bonheur éclatant à la face du monde. Parfois, ils ont passé une journée de merde, rêvent juste d’une épaule compatissante ou d’une bonne gueulante pour se défouler.  Certains ne te le diront probablement jamais et pourtant, il faut que tu le saches, Facebook : comme le chantait le coq ménestrel de Robin des Bois « des bas, des hauts… il y en a partout… »
Internet n’est pas uniquement fait pour diffuser des photos de soit en bikini au bord de la piscine, avec une coupe de champagne dans une main et les fesses d’un Michael Fassbender sous l’autre, histoire de bien faire comprendre aux gens que ta vie est superbe et qu’ils devraient chaque jour se morfondre de ne pas être à ta place. Ou alors c’est qu’effectivement, la population du web est composée à 50% de gens qui se la pètent et de 50% de dépressifs…

Mais quoiqu’il en soit, moi, si je vis avec toi, c’est pour garder un œil sur ceux que j’aime et ce que j’aime. C’est pour savoir ce qu’est devenu untel. C’est parce qu’une autre me fait toujours rire avec ces posts grinçants. C’est parce que mon auteur préféré y annonce ses dédicaces…etc. Le déballage de certains, franchement, je m’en fiche pas mal ! J’ai pas envie de voir leurs gueules sous toutes les coutures, six fois par jours. J’ai pas envie de savoir ce qu’ils ont mis comme chaussettes (à moins qu’elles soient vraiment très très rigolotes !) Et je pars donc du principe que mes chaussettes et ma gueule à moi ne déchaînent pas non plus les passions. Peut-être que je me trompe, Facebook. Je ne sais pas… Je devrais essayer, du coup, de faire un énorme article sur mes chaussettes. On verrait bien si ça a du succès. Personnellement, je n’ai pas tellement envie de lire ce genre de choses et je me suis imaginée, naïvement, qu’il fallait mieux tenter de proposer aux autres ce que moi-même j’aurais du plaisir à lire. Peut-être suis-je finalement dans l’erreur. Peut-être que c’est toi qui a raison, Facebook : mes chaussettes, mon nombril, mon « bonheur éclatant »… il n’y a peut-être que ça qui soit réellement digne d’intérêt…

Franchement, Facebook, je peine à y croire. Ou bien c’est que j’ai des goûts de chiotte, que je suis rabat-joie et que mes proches m’ont menti toutes ces années sur leurs centres d’intérêt, pour me faire croire qu’ils étaient au moins aussi chiants que moi.
Non, Facebook, tu dois te faire une raison : ce n’est pas moi, mais bien toi qui patauge dans la semoule de l’erreur.
Tu ne cesses de me harceler pour savoir où j’ai grandi, avec qui, quelles écoles j’ai fréquenté, où je travaille, où je vis, quels films, livres, musiques j’apprécie, de quel parti politique, de quelle religion je me réclame, avec qui je couche et combien je pèse…euh non, ça, pas encore… M’enfin, concrètement, Facebook, vu le côté intrusif de tes questions, ça ne saurait tarder.
J’ai pris le parti de ne pas répondre à la plupart d’entre elles, ou bien sur le ton de la plaisanterie, et je me suis empressée de sécuriser au maximum mon profil. Je ne sais pas si je devrais te l’avouer, Facebook, mais tu dois t’en douter, depuis le temps : je bosse dans la fonction publique, et c’est le genre d’employeur qui apprécie moyennement les déballages intempestifs sur le net. Du coup, effectivement, j’ai choisi de réduire à son minimum le nombre d’informations publiques sur mon profil. Tu admettras que ce n’est pas une mince affaire ! Il ne se passe pas trois mois sans que tu modifies ton mode de fonctionnement. Franchement, Facebook, je ne te connaîtrais pas si bien, j’en viendrais presque à penser que tu fais tout ça exprès pour que les gens se sentent perdus et fassent moins attention à ce qu’ils publient !

Mes relations n’ont aucun intérêt à savoir de quelle religion ou parti politique je fais partie ni dans quelle maternelle j’ai appris à chanter « J’ai un gros nez rouge… ». Ceux qui me sont proches connaissent parfaitement les détails de ma vie privée et si j’ai envie de causer films et bouquins avec eux, je le ferai dans le monde réel. De toute façon, quand on sait que tout ce qui est mis sur facebook appartient à Facebook, c’est à se demander si l’ensemble de ma personne ne t’appartiendrait pas complètement.
Sincèrement, tu me fais peur, Facebook. Le plus angoissant pour moi, c’est quand je cherche un meuble sur ma tablette et qu’une fois au boulot, tu m’imposes des publicités sur ce même type de meubles. Tu me fliques, Facebook et le pire dans tout ça, c’est que tu me fais croire que c’est pour mon bien. Tu me fais penser à ces psychotiques qui suivent l’objet de leur obsession partout où il va, soit disant pour qu’il ne lui arrive rien.

Bordel ! Facebook ! Je ne t’ai rien demandé ! Pourquoi tu veux toujours en savoir plus sur moi ? Savoir avec qui je traîne, comment je vais (bien, obligatoirement), ce que je fais et ce que je veux ? ça ne te concerne pas ! Chacun n’est-il pas libre d’avoir son jardin secret ? Au point où on en est, si tu me sortais un plan détaillé de mon appartement, avec les meubles et les objets aux bonnes places, je ne serais absolument pas surprise.
Mais savoir toutes ces choses sur moi ne te suffit pas, tu veux aussi contrôler mes sentiments ! Grâce à toi, il y a deux mois, j’ai découvert que j’avais « passé une année géniale, merci d’y avoir contribué ! ». Tu aurais au moins pu avoir la décence de nous demander notre avis sur les photos sélectionnées. Tu aurais au moins pu mettre un questionnaire à choix multiple. C’est pourtant pas compliqué ! Regarde !
 « J’ai passé :
a)    Une année géniale
b)    Une bonne année
c)    Une année correcte
d)    Une année de merde
Merci d’y avoir contribué ! » (quoique, pour la conclusion, je suis plus très sûre, du coup)
C’est tout de même un poil plus démocratique.


Et cette obstination à refuser l’option « je n’aime pas » ! Encore une belle ânerie, Facebook ! Alors selon toi, on a droit de se troller, de se foutre sur la pomme par commentaires interposés, de se menacer de mort, tant qu’on y est,  mais pas simplement de se gratifier d’un « je n’aime pas » parce que (je cite) Môssieur trouve ça trop négatif et peu constructif. Il faudrait que tu redescendes sur Terre, Facebook. Internet n’est pas peuplé de gens bienveillants et passionnants. Il y a aussi des ordures. Il y a aussi des personnes inintéressantes. Il y a enfin ceux qui, comme je le disais plus haut, ont vécu des coups durs, à qui on ne peut décemment pas dire « j’aime » mais à qui on voudrait simplement signifier notre compassion et notre affection.
Mais ça, forcément, ça te passe totalement par-dessus la tête. Non, toi, ce qui t’intéresse, c’est que tout le monde frétille de joie dans le pays joyeux de enfants heureux qui dansent en mangeant du nougat et des calissons roses et bleus !

Dernièrement, j’ai ainsi découvert que tu censurais les changements soit-disant négatifs de situation amoureuse. Ceux-ci n’ont pas l’honneur d’apparaitre dans le fil d’actualité des amis. Grosso-modo, on aurait le droit de crier au monde son célibat, sa vie amoureuse toute neuve, son union libre…etc, ça peut même être terriblement « compliqué », mais surtout pas se revendiquer veuf, séparé ou divorcé… Alors que bon, ça peut aussi être une bonne nouvelle, une séparation : ‘mieux vaut être seul que mal accompagné, y’a pas photo ! Et quand bien même, quand on est pas d’humeur, ça débarrasse de cocher une petite case stupide pour expliquer sans tergiverser : « Eh oui, on est plus ensemble ! Voilà ! ».
Pour d’autres, encore, ça réconforte de partager son désarroi avec leurs proches. Bref, chacun ses méthodes et je vois pas trop ce que tu pourrais trouver à en redire car, après tout, la manière dont les gens veulent appréhender leur vie, ça ne te concerne pas !

Je sais que je suis un peu rude, Facebook. Les mots sont partis un peu trop vite et je suis navrée si je t’ai blessé. J’espère que notre… « amitié » n’en sera pas pour autant entachée. Tu sais bien que si je te détestais vraiment, je t’aurais quitté depuis longtemps.
Non. C’est simplement que parfois, j’ai l’impression que tu ne réfléchis pas assez, que tu nous mets tous au même diapason et que c’est une erreur énorme car, bien sûr, nous sommes tous différents. Je suppose que tu essayes de faire au mieux, que tu aimerais être le reflet de ce qui se passe de beau dans nos vie. Mais la vie n’est pas toujours belle, Facebook. Parfois, la vie est surtout une véritable connasse. Et parfois, on a aussi envie de le hurler haut et fort.
Tu es aussi là pour ça, Facebook, que tu le veuilles ou non.

Affectueusement,
Ton...euh... « amie »
Artemis

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