Cats

Je tourne la clé dans la serrure, la porte s'ouvre dans un grincement macabre.
Fulbert est là, vautré dans le canapé. Il me lance un regard dédaigneux, plein de reproches.
"Oh, ça va, hein !"
J'accroche ma veste au porte-manteau, balance mon sac par terre, avant de tituber jusqu'au canapé. Je m'écroule lamentablement et manque d'écrabouiller Fulbert qui prend la fuite avec un "mrou!" de mécontentement.
Bien évidemment, il file dans la cuisine et pose son arrière-train roux et dodu devant le saladier en inox qui lui sert de gamelle,
"Mon petit père, tu as quand même de sacrées réserves, alors merci de me laisser souffler !"

J'allume la télévision et tombe nez à nez avec une de ces ignobles bouses de la téléréalité. Quelques chaines plus loin, un programme de télé-achat me vente les miracles d'un produit granuleux, couleur ciment, capable de faire fondre mes "kilos en trop en moins de trois semaines !"
Je grimace et tâte instinctivement mes bourrelets. Je n'ai rien à envier à Fulbert ! Mais même lui serait d'accord pour dire qu'une alimentation à base de produits industriels lyophilisés, c'est trop cher payé pour rentrer dans le carcan esthétique de cette société.

Comme pour me réconforter, Eugénie saute sur mes genoux et entreprend de me labourer la cuisse. Je retiens un gémissement de douleur à chaque fois que ses griffes s'enfoncent dans ma chaire, et la caresse machinalement d'une main, tout en zappant de l'autre.
Comédie lourdingue... Série vieillotte... Documentaire assommant... Publicités mensongères... Je me stabilise finalement sur un sitcom multi-rediffusé. Depuis l'enfance, j'ai dû voir cet épisode au moins quinze fois, mais je souris malgré tout à chaque blague, comme si je serrais contre moi un vieux doudou tendre et réconfortant.

Léopold et Aglaé ont rejoint Fulbert devant la gamelle. Je ne peux plus faire semblant de ne rien voir, je vais devoir coopérer. Je repousse Eugénie et me traine jusqu'à la cuisine.
Après leur avoir abandonné 100 grammes de croquettes, je rejoins ma chambre en grognant.
Chester dort, roulé en boule sur mon oreiller. Je n'ai pas le courage de me lancer dans une bataille sans merci pour récupérer mon bien. Je m'allonge à ses côtés, encore toute habillée.
Dans le salon, le son des rires enregistrés raisonne encore. Il m'apaise et me berce quelques minutes avant que le sommeil ne m'emporte.

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