Post-pomme
Un beau matin,…ce devait être un dimanche, l’unique jour de la semaine où on ne lui demande rien ; sinon, évidemment, elle n’aurait pas pris le temps de se réveiller avec la lumière du soleil, de s’étirer calmement dans la douce et tendre atmosphère de juin.
Un matin, donc, Blanche-Neige tira davantage le rideau en velours bleu cousus de fils d’or et soupira d’aisance face au jardin français en contrebas. Elle demeura un moment sur le balcon, à humer les doux parfums de la nature au levé, à écouter les gazouillis des oiseaux roses et jaunes, sur la rambarde en marbre ou dans les branches moussues, qui semblaient la saluer et chanter ses louanges.
« Avez-vous bien dormi, belle princesse ? » demandait certainement le plus dodu.
« Etes-vous heureuse, majesté ? » renchérissait un autre.
Pour seule réponse, Blanche-Neige sourit, une fois de plus. Une fois de trop, songea-t-elle soudain en le laissant mourir sur ses lèvres d’un rouge sanguinolent. Depuis le mariage - cela devait faire trois ans ; peut-être quatre, elle n’en était plus tout à fait sûr - elle ne savait plus faire que ça. Sourire à son époux, au père de celui-ci, à ses sœurs, sourire aux inconnus innombrables de la Cour, aux dames de compagnies, aux valets et aux gardes, aux nobles et gracieux invités et à tous ceux qui les escortaient. Sourire. Toujours sourire. Et pas forcément en y mettant tout son cœur, mais au contraire, en plissant bien fort les yeux et en remontant les pommettes et la lèvre supérieure dans une grotesque mimique de pantin ! Un sourire longuement travaillé depuis le jour où, la libérant de la mort et d’un cercueil de verre glacial, il l’avait embrassé et emmené loin de sa jolie forêt et de ses amis les nains. Loin de tout, finalement !
Evidemment, elle comprenait sa jalousie. Elle était légitime puisqu’il l’aimait (ou, si cela n’était pas vraiment le cas, au moins la possédait-il jusqu’à ce que la mort les sépare ; ce qui n’arrive que très rarement dans ce genre d’histoire.). Néanmoins, elle ne pouvait s’empêcher de songer au ridicule d’une telle obsession.
Sept nains, cela faisait, selon lui, sept concurrents de trop… en admettant qu’ils puissent représenter son genre d’hommes, ce qui était loin d’être le cas !
Pourtant, ce n’était pas sans une certaine émotion qu’elle se souvenait de leur gentillesse, de leur prévenance, de leur humour et de ce qu’on pouvait sans trop d’hésitation appeler leur « charme rustique » de bucherons miniatures. Eux, au moins, ne l’auraient jamais laissée mourir d’ennui et sourire bêtement dans cet austère, bien qu’immense, château blanc.
Mais voilà, le Prince était beau. Le Prince était grand, fort, avait les dents blanches et les cheveux brillants. Le Prince l’avait sauvée de sa terrible marâtre, et avait, d’un doux baiser, annihilé le poison qui pétrifiait ses veines. Le Prince l’avait hissée sur son bel étalon noir et l’avait trimbalée trois jours et trois nuits, par monts et pas vaux, jusqu’au royaume de son père, où ils se marièrent sans même avoir pris le temps de causer un brin. De ce fait, elle ignorait jusqu’à son prénom lorsqu’ils échangèrent leurs consentements mutuels et avait donc pris l’habitude de le nommer simplement « le Prince ». Habitude qu’elle avait conservée dans son fort intérieur puisque de toute façon personne ne lui demandait jamais de l’appeler par son patronyme et encore moins lui lorsque, fait rarissime, il venait honorer sa couche de son illustre présence. C’était de loin le seul contacte qu’ils entretenaient encore, une fois tous les sept jours (décidément, ce chiffre…).
L’attendre en petite tenue dans son grand lit à baldaquin, allongée sagement sur le dos, le laisser s’installer, se déshabiller, sans même lui dire : « Bonsoir, mon doux Prince. Votre journée fut-elle agréable ? » ou quoi que ce soit de plus timoré, l’imiter sans trop tarder car on ne fait pas attendre sa majesté, et espérer qu’il ne « s’éternisera pas trop » tout en fixant les imperfections du plafond. Une méthode consternante qui avait su faire ses preuves puisque trois héritiers étaient déjà élevés, par des gens qu’elle supposait dignes de confiance, dans une province éloignée dont elle n’avait jamais entendu parler avant d’y avoir expédié la chaire de sa chaire.
Irritée et nauséeuse, Blanche-Neige referma la fenêtre. Sur le secrétaire en acajou l’attendais déjà son petit déjeuner habituel : deux gaufres à la confiture de myrtille et une tasse de thé vert au lait. Trop écœurée pour avaler quoi que ce soit, elle détourna aussitôt le regard et retourna se glisser entre les draps de satin. Comme le ciel de lit couleur guimauve lui rappelait trop le corps lourd et maladroit de son mari sur le sien, elle s’empressa de se recroqueviller sur le côté et médita encore un bon moment sur sa condition de larve princière.
Tandis qu’une larme gravissait sa joue laiteuse pour atterrir sur l’oreiller, elle en conclut que sa vie ici était un véritable fiasco. Si elle avait pu prévoir que son Prince, pourtant si charmant au premier regard, serait au quotidien aussi quelconque et incompétent, la vie de château aussi morose et la noblesse aussi vaine et futile, elle aurait poursuivit ses études pour devenir médecin-légiste, et se serait payé un magnifique loft en centre ville avec cuisine toute équipée, boutiques de luxe et boite de nuit à proximité !
Un matin, donc, Blanche-Neige tira davantage le rideau en velours bleu cousus de fils d’or et soupira d’aisance face au jardin français en contrebas. Elle demeura un moment sur le balcon, à humer les doux parfums de la nature au levé, à écouter les gazouillis des oiseaux roses et jaunes, sur la rambarde en marbre ou dans les branches moussues, qui semblaient la saluer et chanter ses louanges.
« Avez-vous bien dormi, belle princesse ? » demandait certainement le plus dodu.
« Etes-vous heureuse, majesté ? » renchérissait un autre.
Pour seule réponse, Blanche-Neige sourit, une fois de plus. Une fois de trop, songea-t-elle soudain en le laissant mourir sur ses lèvres d’un rouge sanguinolent. Depuis le mariage - cela devait faire trois ans ; peut-être quatre, elle n’en était plus tout à fait sûr - elle ne savait plus faire que ça. Sourire à son époux, au père de celui-ci, à ses sœurs, sourire aux inconnus innombrables de la Cour, aux dames de compagnies, aux valets et aux gardes, aux nobles et gracieux invités et à tous ceux qui les escortaient. Sourire. Toujours sourire. Et pas forcément en y mettant tout son cœur, mais au contraire, en plissant bien fort les yeux et en remontant les pommettes et la lèvre supérieure dans une grotesque mimique de pantin ! Un sourire longuement travaillé depuis le jour où, la libérant de la mort et d’un cercueil de verre glacial, il l’avait embrassé et emmené loin de sa jolie forêt et de ses amis les nains. Loin de tout, finalement !
Evidemment, elle comprenait sa jalousie. Elle était légitime puisqu’il l’aimait (ou, si cela n’était pas vraiment le cas, au moins la possédait-il jusqu’à ce que la mort les sépare ; ce qui n’arrive que très rarement dans ce genre d’histoire.). Néanmoins, elle ne pouvait s’empêcher de songer au ridicule d’une telle obsession.
Sept nains, cela faisait, selon lui, sept concurrents de trop… en admettant qu’ils puissent représenter son genre d’hommes, ce qui était loin d’être le cas !
Pourtant, ce n’était pas sans une certaine émotion qu’elle se souvenait de leur gentillesse, de leur prévenance, de leur humour et de ce qu’on pouvait sans trop d’hésitation appeler leur « charme rustique » de bucherons miniatures. Eux, au moins, ne l’auraient jamais laissée mourir d’ennui et sourire bêtement dans cet austère, bien qu’immense, château blanc.
Mais voilà, le Prince était beau. Le Prince était grand, fort, avait les dents blanches et les cheveux brillants. Le Prince l’avait sauvée de sa terrible marâtre, et avait, d’un doux baiser, annihilé le poison qui pétrifiait ses veines. Le Prince l’avait hissée sur son bel étalon noir et l’avait trimbalée trois jours et trois nuits, par monts et pas vaux, jusqu’au royaume de son père, où ils se marièrent sans même avoir pris le temps de causer un brin. De ce fait, elle ignorait jusqu’à son prénom lorsqu’ils échangèrent leurs consentements mutuels et avait donc pris l’habitude de le nommer simplement « le Prince ». Habitude qu’elle avait conservée dans son fort intérieur puisque de toute façon personne ne lui demandait jamais de l’appeler par son patronyme et encore moins lui lorsque, fait rarissime, il venait honorer sa couche de son illustre présence. C’était de loin le seul contacte qu’ils entretenaient encore, une fois tous les sept jours (décidément, ce chiffre…).
L’attendre en petite tenue dans son grand lit à baldaquin, allongée sagement sur le dos, le laisser s’installer, se déshabiller, sans même lui dire : « Bonsoir, mon doux Prince. Votre journée fut-elle agréable ? » ou quoi que ce soit de plus timoré, l’imiter sans trop tarder car on ne fait pas attendre sa majesté, et espérer qu’il ne « s’éternisera pas trop » tout en fixant les imperfections du plafond. Une méthode consternante qui avait su faire ses preuves puisque trois héritiers étaient déjà élevés, par des gens qu’elle supposait dignes de confiance, dans une province éloignée dont elle n’avait jamais entendu parler avant d’y avoir expédié la chaire de sa chaire.
Irritée et nauséeuse, Blanche-Neige referma la fenêtre. Sur le secrétaire en acajou l’attendais déjà son petit déjeuner habituel : deux gaufres à la confiture de myrtille et une tasse de thé vert au lait. Trop écœurée pour avaler quoi que ce soit, elle détourna aussitôt le regard et retourna se glisser entre les draps de satin. Comme le ciel de lit couleur guimauve lui rappelait trop le corps lourd et maladroit de son mari sur le sien, elle s’empressa de se recroqueviller sur le côté et médita encore un bon moment sur sa condition de larve princière.
Tandis qu’une larme gravissait sa joue laiteuse pour atterrir sur l’oreiller, elle en conclut que sa vie ici était un véritable fiasco. Si elle avait pu prévoir que son Prince, pourtant si charmant au premier regard, serait au quotidien aussi quelconque et incompétent, la vie de château aussi morose et la noblesse aussi vaine et futile, elle aurait poursuivit ses études pour devenir médecin-légiste, et se serait payé un magnifique loft en centre ville avec cuisine toute équipée, boutiques de luxe et boite de nuit à proximité !
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