"Memento mori"

Je vais bien.
Pour moi, mais aussi pour les autres, ces trois mots ont quelque chose d'affreux. Un peu comme si finalement ce n'était pas la pire chose qui me soit jamais arrivée, comme si j'affirmais haut et fort que, ça va, ne vous en faites pas, j'en ai vu d'autres, c'était juste un moment pénible à passer. Pourtant, je vais bien... ou plutôt je vais mieux, une formulation qui choquera un peu moins les âmes bien pensantes.
Bien sûr, le chagrin n'a pas déménagé du jour au lendemain. Mais on y travaille, on apprend, on digère... difficilement d'abord puis plus calmement, dans le silence, enfermée au petit jour dans la salle de bain, ou allongée dans la pénombre, étouffant un sanglot silencieux au creux d'un oreiller.
J'ai vite compris qu'à pleurer trop longtemps et trop fort, on finit par agacer. Les gens sont peut-êtres gentils, à l'écoute des autres, mais il ne faut pas trop leur en demander! Alors je me suis tu. J'ai ravalé mes larmes en public. Au début, l'on venait me voir, les bras grands ouverts, minaudant généralement quelque chose du style: "Oh ma pauvre chérie! Tu tiens le coup?"
Et là bien sûr, ne pas répondre par la négative. C'est le plus sûr moyen de faire le vide autour de soi. Les gens sont compatissants tant qu'ils ne se sentent pas envahis par votre malheur et que vous leur laissez, de temps à autre, le loisir de s'épancher un peu...

Mais ce n'est qu'une parenthèse... et finalement, qu'est-ce qui ne dérange pas les autres? Si l'on s'exprime trop, on passe pour une hystérique égocentrique, si l'on se tait, pour une insensible, un monstre! Cela fera bientôt deux ans. Ma vie n'a pas changée. Je vis toujours dans le même appartement, j'ai conservé le même travail, les mêmes collègues, les mêmes amis, les mêmes habitudes. Et je vais bien. Et, contre toutes attentes, je survis. Pourtant, j'ai longtemps cru que mon coeur aussi s'était arrêté de battre ce dimanche matin ou que le mécanisme demeurerait rouillé jusqu'au bout. J'ai longtemps cru que je n'y arriverait pas toute seule et que l'on finirait par me retrouver morte de faim, de soif, de fatigue et surtout de peur de devoir faire face toute seule. Pourtant, on n'est jamais vraiment seul... ou alors on l'est du début jusqu'à la fin, je ne sais pas trop quoi penser...
Toujours est-il que, comme on le raconte fort poétiquement dans les films larmoyants, je me suis réveillée un matin et j'ai découvert que mon chagrin avait perdu de son intensité. Au début, cela effraie car on s'imagine qu'on est en train de perdre définitivement celui qui n'existe déjà plus physiquement. On a peur de l'oublier et de ne plus voir en lui qu'une silhouette incertaine, un souvenir heureux et plus rien de concret, de réel. Et vous voulez que je vous dise? On a tout à fait raison!

D'aucuns auront beau vous rassurer en vous disant que, si la souffrance s'apaise peu à peu , on n'oublie jamais ceux que l'on aime et qu'ils demeurent en nous pour toujours. Jolie formule, non? Alors comment expliquer qu'un jour, dans les allées d'un centre commercial, on s'aperçoit finalement qu'on n'a plus besoin d'entasser dans le cadi ces choses qu'il était le seul à aimer? Comment expliquer qu'on ai tellement de mal à se souvenir du son de sa voix? Comment se fait-il qu'on ressente même le besoin de se ruer sur les photos pour se remémorer avec une exactitude quasi-chirurgicale les traits de son visage? Et son sourire? Et son odeur? Sa démarche? Le contact particulier de sa peau? Et les têtes bizarres qu'il tirait lorsqu'il était contrarié, épuisé, déçu, étonné...? S'en souvient-on encore? S'en souvient-on vraiment ou fait-on juste semblant pour se convaincre qu'on l'aime toujours malgré deux longues années d'absence?
Evidemment que je l'aime, évidemment qu'il me manque et qu'il m'arrive encore d'espérer le trouver près de moi au réveil. Bientôt deux ans que je cherche son visage au milieu de la foule, que je me retourne brutalement sur le passage d'un inconnu qui lui ressemble, et cela alors même que je ne suis plus totalement sûre de le reconnaître s'il venait frapper à la porte.

Un tel sentiment ne peut que me remplir de honte, vous vous en doutez. J'imagine le dégout sur les visages de nos proches, de nos amis, de nos familles, s'ils découvraient que, petit à petit, il en est venu à ne prendre pas plus de place dans ma tête... qu'une urne funéraire. J'aurais tellement de mal à leur faire comprendre que je l'aime quand même. A leurs yeux, je m'en doute, rien n'est plus impardonnable que de me sentir à nouveau vivante tandis qu'il est... si loin.

Commentaires

  1. Plus rien depuis deux semaines... C'est pas parce que le logo "mon blog se nourrit de vos commentaires" n'est pas encore très efficace que ça veut dire que personne ne lit et qu'il faut arrêter de publier, tu sais ?

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  2. Tu sais quoi? Ce texte me fait étrangement écho à présent ^^ Et cette envie de pleurer qui te prend soudainement alors que "rien de spécial" ne s'est passé ce jour là. C'est justement là le problème, dans le "rien de spécial"

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