...un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout...

Je me souviens avoir lu une phrase qui m’a profondément marquée…ou peut-être l’ai-je juste entendue. Dans un film, dans la bouche de quelqu’un, à la radio ou dans une émission de télé bidon parmi tant d’autres. Je ne sais plus exactement où, ni dans quelles circonstances. Je la revois pourtant clairement. Parfois, elle résonne dans ma tête comme une sentence. A d’autres moments, elle me parait dénuée de sens, de sérieux, de preuves et je la méprise.
Je devais être au lycée, et il m’arrive de penser qu’il s’agit d’un vestige de quelque cours de philosophie, entendu ou entraperçu entre deux commérages d’adolescentes. Mais en la lisant vous-même, vous conviendrez qu’il n’y a guère de raisonnement plus inutile et inadapté à la réflexion. En effet, plus j’y repense et plus je me dis que ce pourrait être la petite phrase rose et trop sucrée d’un écrivain sentimental, ou l’absurde règle incontestable d’un magazine féminin, probablement issue d’un article sur la séduction, les hommes, le toujours du grand amour ou autres bêtises romantiques qui les émoustillent lorsqu’il ne s’agit pas de régimes, de mode, de célébrités…

Cette phrase, donc, me revient régulièrement en pleine figure comme un boomerang mal lancé (ou plutôt, mal réceptionné). Je m’interroge sur son bien-fondé, je la mets à l’épreuve, je la retourne dans tous les sens. En bref : je la mastique comme un chewing-gum jusqu’à ce qu’elle n’ait plus aucun goût et que je sois alors sûre, absolument sûre, qu’elle se trompe et que, vraiment, il n’y a pas plus stupide, sectaire et standardisé comme logique universelle à deux sous !
En amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie.
Si l’on peut, à tous moments, changer de rôle, ils continuent pourtant d’exister et il s’en trouvera toujours un pour aimer plus fort, pour être plus dépendant de cette relation et pour souffrir de cette distance que l’autre tente d’établir afin de préserver sa liberté et son intimité.
Voilà, à peu de choses près, ce que la phrase signifiait.

Faut-il la prendre au sérieux ? Faut-il essayer, continuer d’essayer, de l’appliquer à notre vécu ? J’en doute formellement même si je ne peux m’en empêcher de temps en temps. Se demander qui souffre et qui s’ennuie dans un couple, c’est un peu comme se demander " Qui de moi ou de ma sœur maman préfère-t-elle ? ", " Qui aimes-tu le plus ? Ton père ou ta mère ? ", " Si tes deux meilleurs amis étaient suspendus au bord d’un ravin et que tu avais le temps de n’en secourir qu’un seul, lequel sauverais-tu ? " ou encore, comme on s’amusait bêtement à se l’imaginer jadis (le " on " se reconnaîtra peut-être un jour) : " Tu préfèrerais être sourd ou aveugle ? Perdre un bras ou une jambe ?... "
Le choix n’en est pas vraiment un. On peut aimer deux personnes différemment mais avec autant d’intensité. On peut aimer son conjoint d’une toute autre manière que la voisine aime le sien. Je t’aime ainsi, tu m’aimes autrement, j’aime mon enfant mais j’aime aussi mes parents, et Machin aime Truc plus fort encore que le tiramisu...
Mais comment peut-on décréter qu’une de ces formes d’amour prévaut sur les autres ? C’est une absurdité de plus dans le monde déjà cruellement atteint des relations humaines !
S’interroger sur la puissance de ses sentiments et surtout sur celle de ceux qui nous entourent et nous aiment (pour nos qualités comme pour nos défauts, car ils sont adorables) c’est un poil masochiste, en plus d’être superflue. Ça ne peut nous attirer que doutes, tristesse et ennuis. Alors pourquoi s’entêter à le faire ? Pourquoi remettre en cause les sentiments, les serments, les mots des autres ? Après tout, ils sont probablement mieux placés qu’un adage venu d’on ne sait trop où pour nous dire ce qu’ils ressentent !

On dirait que je passe ma vie à me poser des questions sans réponse, à accumuler des raisons de me morfondre, simplement pour pouvoir me vanter d’être une artiste mélancolique, sombre et mystérieuse. Cela ne constitue même pas une source valable de méditation avant de dormir. Le monde regorge de questions fondamentales captivantes et me voilà embourbée dans des interrogations de jeune fille en fleurs avec des étoiles plein les yeux : " Est-ce qu’il m’aime autant que je l’aime ? Est-ce qu’on va rester ensemble pour toujours ? Jusqu’à ce que la mort nous sépare ? " ou plus exactement : " Passe-t-on vraiment sa vie à tenter de mettre son couple (ses couples ?) au diapason ? ". Et même si la seconde formulation a plus de gueule que la première, elles veulent bien dire la même chose.
Alors qu’il serait si simple, si doux, si agréable de se laisser porter gentiment par la brise, sans trop se prendre le chou avec des histoires insipides qui ne mènent nulle part ! Qu’est-ce qui empêche, au juste, l’être humain d’être heureux et de profiter au présent de ce que la vie veut bien lui prêter ? Elle qui met déjà trop peu de petits morceaux de bonheur dans la soupe quotidienne !

Evidemment, il est toujours plus facile de coucher ces belles pensées sur le clavier que de parvenir à s’en convaincre, n’est-ce pas ? D’ailleurs, on se doute bien que si j’y étais parvenue, la phrase en question aurait depuis longtemps cessé de jouer au ping-pong avec mes nerfs et mes neurones…




Toutoutou ! Flash spécial ! On vient tout juste d’apprendre que l’écrivain rose et sucré évoqué ci-dessus et responsable de cette aberration littéraire serait en fait… Honoré de Balzac. Alors, bon, c’est vrai que ma culture générale, confrontée à son ignorance, a une soudaine envie de se pendre aux néons de la Bibliothèque, mais il faut bien admettre que ce petit Monsieur (qui devait alors sentir poindre en lui un petit quelque chose de Barbara Cartland) aurait probablement mieux fait de se couper un bras plutôt que de pondre une ânerie pareille. Non mais sans blague !

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