"La retraite avant l'arthrite!"

Dans la vie, il faut parfois savoir faire quelques expériences pour pouvoir décréter que "voilà, j'ai goûté et... j'aime pas les harengs". C'est un mal pour un bien, déjà parce qu'on passe moins pour une bille lorsqu'un de nos opposants nous demande au juste, ce qui nous déplaît chez tel auteur, tel chanteur, dans tel film...etc, mais aussi (et attention, je m'apprête à faire preuve d'optimisme) parce qu'il peut arriver que l'expérience soit heureuse. Tenez, moi, par exemple, avant j'avais horreur de la ratatouille. Eh bien maintenant, ça passe tout seul avec un petit verre de vin et du rôti de porc !
Cette information capitale ayant changé le cours de vos existences, nous allons pouvoir passer à autre chose.

En ce moment, vous disais-je, j'ai ressenti le besoin d'innover. Rien de très palpitant, rien de bien fulgurant. Juste deux ou trois endroits à visiter, deux ou trois personnes à rencontrer (ou retrouver), deux ou trois plats où tremper le petit doigt. D'aucun sauront peut-être de quoi je parle, pour les autres en revanche, inutile d'insister. Cela fait partie de mes découvertes secrètes du monde passionnant qui m'entoure et qu'en bonne extraterrestre, je me dois d'explorer, si ce n'est avec impatience, au moins avec courage.
La morale de ces expériences (plus ou moins récentes) est donc la suivante: voilà, c'est fait, maintenant, fichez-moi la paix! Je suis venue, j'ai vu, je suis repartie. J'ai essayé. Je me suis bien amusée, mais je n'en vois pas l'intérêt. Pour le plat, je dirais que merci mais j'éviterai de me resservir. Pour la personne, que finalement je comprends mieux pourquoi nous avions perdu contacte. Pour le lieu, que c'était sympa, bien sûr, mais que ça suffira pour cette décennie. Pour le film, que si un réalisateur a quelques milliards à claquer dans un truc inutile, je suis preneuse. Pour l'état d'esprit, que j'ai tout fait pour me convaincre que ça en valait la peine mais que non, vraiment, je ne parviens pas à m'intéresser à ce genre de foutaises.

Pourtant j'ai martelé, ou plutôt piétiné, le peu de pavés qu'il reste encore dans la capitale. J'ai entonné des chansons grotesques, bourrées de lieux communs et de lutte des classes archaïques. J'ai levé un poings vengeur vers le ciel en scandant des slogans, visant à ridiculiser Seigneur Grincheux, son valet de Pique et sa Blanche-Neige... des slogans pour ainsi dire très inégaux...mais dont certains valent quand même le détours...évidemment pas les plus populaires, mais que voulez-vous? C'est un peu comme les chanteurs de variété: ce sont toujours les plus ignorants, les plus beurrés, les plus quelconques, les plus égocentriques (les plus optiiiic 2000?) qui marquent les esprits. Oui, enfin, bon, j'ai fait tout ça.
Tout ça...pour rien.
Heureusement que je ne m'y attelais qu'en dilettante parce que, franchement, quelle raclée c'aurait été si j'avais pris les choses au sérieux !?!
Bon, ok, c'est vrai, je verse dans le cynisme et ça n'est pas très beau à voir. D'ailleurs, qui vais-je bien pouvoir tromper avec mes vinaigreries? Évidemment que j'y ai cru! Évidemment que, comme toute ancienne gamine qui se respecte, j'ai cru pouvoir changer le monde. Seulement voilà, c'est un mensonge. Un mythe, un conte de fée, un épisode de Oui-Oui.

On ne changera pas le monde ("maman, et on ne changera pas les gens") en défilant sagement et en sifflant des mojitos derrière une banderole rouge et jaune. Surtout lorsqu'on balance ses verres et ses autocollants sur la voie publique! (j'éviterai pour ma part de confier un joli monde tout neuf à ce genre d'énergumènes). On ne changera pas le monde ("faut vivre avec tout simplement"...pardon, c'est une chanson qui...euh...désolée) en exhibant des Che Guevara à outrance sans même connaître un quart de son histoire ou prendre conscience que lui, au moins, il savait se servir d'un flingue (et il ne se gênait pas pour le faire savoir). En fait, ce que j'essaye de dire aujourd'hui, c'est qu'il est impossible de lutter pacifiquement contre des types qui n'hésiteraient pas à vous écraser d'un coup de talonnette s'ils étaient beaucoup plus grands et que la chose était légale.
Il n'y a jamais que dans Tintin que l'on peut réunir joyeusement ses picaros et mettre en place un coup d'état pacifique. Dans le vrai monde, celui que je découvre chaque jour une peu plus et qui ne me plaît guère, quand on veut changer les choses, on passe toute la troupe au fil de l'épée et on instaure une dictature qui mettra encore trente ans à cicatriser. Dans ce monde-là, on guillotine ceux qui ne nous plaisent pas, on tirent sur ceux qui pensent différemment, on menace ceux qui sont un peu trop tièdes à notre goût. Dans ce monde de brutes et de truands, on rejoue chaque jour la scène de la sélection naturelle et de la loi du plus fort, où celui qui n'a ni état d'âme, ni respect pour autrui est systématiquement le grand vainqueur.

Oui, ceux qui ont le cran de prendre les rennes de notre monde se transforment bien souvent en monstres assoiffés de sang et de pouvoir, quelles que soient, au départ, la merveilleuse idée toute rose et toute sucrée qu'ils se faisaient d'une société plus juste.
Alors à quoi bon lutter si ce n'est que pour le faire à moitié? Soit nous prenons les armes pour désinguer joyeusement tout ce qui ne tourne pas rond dans ce foutu pays (quitte à faire de nombreuses victimes collatérales qui n'avaient rien demandé à personne), soit nous acceptons notre modeste pouvoir, mais aussi notre échec (eh oui, mon chou, tu as joué, tu as perdu!), et décidons que la prochaine fois, c'est sûr, on sera un peu plus regardant quant à ceux que nous plaçons tout en haut.

Ceci peut donc être considéré comme un de mes premiers messages à caractère politique, ou du moins, vaguement engagé. Encore une expérience enrichissante, n'est-ce pas? J'ignore si, comme j'ai tenté de l'exprimer à travers ces lignes, j'ai réellement perdu tout espoir concernant la démocratie et ce qui pourrait s'en approcher. Supposons que mon manque de foi général en l'espèce humaine n'est qu'une lubie de jeune emmerdeuse acariâtre qui me passera avec le temps.
Mais au moins, c'est fait. On ne pourra plus me reprocher de faire de la langue de bois sur le sujet... Pire encore, avec tous les sous-entendus mesquins et fortement répréhensibles que j'ai distillé ci-dessus, il me semble entendre une voix familière déclamer à mon oreille : "oh! tu vas avoir des problèmes, toi! j'aimerais pas être à ta place!"

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