Dr Frankenstein

- Je sais plus quoi en faire! bougonne A en enfonçant ça tête dans le creux de ses mains, T'as pas une idée, toi?
- Bof... Il faudrait leur parler...encore, renchérit B, Ils ne peuvent pas être complètement...enfin...tu vois...bornés?
- Complètement cons, c'est ça que tu veux dire?!?
- Non non...pas cons...non..."bornés", c'est ça que je dis, "bornés".
- Mais qu'est-ce que tu t'imagines? Des millénaires qu'on essaye et rien ne fonctionne comme prévu!
- Rooooh des millénaires...t'exagères, A...
- Si peu, crois-moi... Toujours est-il que j'essaye, et pas qu'un peu! J'ai utilisé plusieurs méthodes: J'ai envoyé des gars faire le sale boulot. Ils sont tous revenus la queue entre les jambes. J'ai essayé d'adapter mes propos, histoire qu'ils comprennent une bonne fois pour toutes. Des centaines de fois que je l'ai fais. J'ai vraiment l'impression d'avoir dit tout et son contraire pour les calmer un peu.
- C'est peut-être bien là le problème. Si tu dis "tout et son contraire", ils vont être complètement déboussolés, les pauvres agneaux.
- Oh les paaaaauuuuvres agneaux! ...On peut pas dire qu'ils regorgeaient d'ingéniosité et d'ouverture d'esprit avant cela non plus. Et puis c'est de ta faute aussi!
- Moi???
- Oui toi! A force de leur rabâcher qu'ils sont uniques, si beaux, si intelligents et meilleurs que leurs petits camarades, t'as fini par nous les pourrir. T'es content maintenant? Regarde ce que ça donne de chouchouter les mômes: ils deviennent narcissiques, égoïstes, violents, intolérants... Et tu crois vraiment leur rendre service, à nos petits protégés? J'ai jamais vu créatures plus malheureuses.
- Malheureuses?
- Oui, B, mal-heur-euses! Ne nous leurrons pas, les petits sont mal dans leur peau. Ils sont à la recherche d'un idéal, d'un sens, du bonheur absolu et de tant d'autres conneries...
- Oh ça va, ne sois pas vulgaire!
- La vulgarité vraie c'est celle que tu mets dans tes promesses de contes de fée pour enfants de cinq ans!
- Je voulais juste leur insuffler un peu de...un peu de rêve.
- Bah ça marche pas. Il faut croire que le bonbon n'a pas plus d'effet que le bâton.
- C'est pas faute d'avoir essayé.
- C'est ce que je te dis: ils sont bouchés.
- On dirait qu'ils sont dans l'opposition constante.
- C'est l'âge, que veux-tu. Mon petit univers ne sera jamais assez propre et ta bonne parole ne les touchera jamais là où il faut.
- Alors qu'est-ce que tu proposes, pour cette fois? Tu veux qu'on les laisse tomber pour de bon? Qu'on les abandonne lâchement au bord de la route comme de pauvres petits chiens mal dressés?
- Au moins ça leur laisserait une chance. Si ça ne tenait qu'à moi, je les ferais piquer.
- ...
- Fais pas cette tête, B, je plaisante.
- On pourrait leur dépêcher un autre "instructeur", un bon cette fois.
- Ils étaient TOUS bons. C'étaient de vrais pros. Mais les rejetons sont vraiment trop mauvais pour piger quoi que ce soit à leur baratin.
- Oh pas tous, si?
- Peut-être pas, mais c'est toujours les mêmes crétins qui entraînent les autres.
- L'instructeur pourrait rester plus longtemps, cette fois?
- Et pourquoi pas une baby-sitter tant qu'on y est?!
- Non...mais...essaye de comprendre, A...
- Oui, moi j'essaye...pas comme certains...
- ...On leur amène un type...un pacifiste...peut-être avec des cheveux longs et...
- Oh non, pas encore des cheveux longs! Le look hippy, merci, j'ai soupé!
- Bon, alors une femme, pour cette fois... Elle tente de les raisonner, de leur expliquer que la violence c'est mal, qu'ils sont tous frères et qu'il faut qu'ils s'aiment...
- Et après, y'en a deux qui sont d'accord, trois qui s'en tapent le coquillard et cinq qui décident de la cramer, ta donzelle hérétique! Tu trouves ça beaucoup mieux que la fois d'avant, toi?
- Certes...le problème de départ, c'est qu'ils sont très divisés.
- Ouais, c'est en partie ma faute...
- Évidemment, quand on est pas fichu de s'en tenir à une unique ligne conduite, on a bien du mal à éduquer les plus jeunes...
- Oh écrase, B! On dit bien qu'il faut être deux pour faire des enfants et, comme tu le sais déjà, tu n'es pas exempt de tout reproche non plus!
- Ne remets pas cette histoire sur le tapi: j'ai fais de mon mieux pour qu'ils soient heureux, mais c'est quand même toi qui les a chassé de la maison, tu ne peux pas le nier!
- Ils étaient en train de tout saloper!!! Comme tu leur passais tout, forcément...
- Bon, j'en ai assez. Puisque mon éducation est trop laxiste et que l'idée d'une nouvelle messagère ne te plait pas, tu n'as qu'à te débrouiller tout seul... Après tout, c'est toi le Créateur!
- Ah bien sûr, quand quelque chose cloche, c'est toujours moi, LE Créateur.