La Souris

J'aimerais bien me cacher sous le bureau. Me recroqueviller dans un coin sombre de la pièce, seule, derrière de gros meubles, une pile de cartons ou une porte entrebâillée. Je pourrais me glisser dans un placard ou attendre que "ça passe" dans les toilettes, comme si j'avais dix ans, comme si le monde me faisait peur. C'est peut-être le cas.

Je suis fatiguée de sourire, de faire semblant. J'ai envie d'assumer, de crier : ma pièce ne rentre pas dans votre puzzle. Est-ce que je devrais la découper, forcer le passage quitte à tout casser, attendre que l'on change de jeu ou que les choses évoluent en ma faveur? Je n'ai pas peur. J'ai juste besoin d'être à l'aise dans mes baskettes! Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas tout prendre avec des pincettes. Je ne veux pas qu'on me juge, qu'on m'observe, qu'on me surveille, qu'on me plaigne. Je veux être en terrain conquis. Baisser ma garde et rire, bêtement, pour rien, pour des absurdités. Lâcher la pression. Être moi, sans état d'âme.

Je m'imagine que l'on me déteste, que l'on me méprise, car je suis maladroite, empotée, hésitante. Mais la vérité est bien pire : on me rien-du-tout. Je ne suis personne. On ne me connaît pas. On ne m'ignore pas non plus. Je suis bel et bien là, c'est un fait. Mais moi ou quelqu'un d'autre, qu'est-ce que ça change? Je suis une forme humaine sans particularité. Je viens, j'agis et je repars. Je m'automatise. Je me routinise. J'exerce une fonction plus qu'une profession, je suis un humain plus qu'un être.

Je leur fais de la peine et, ça aussi, c'est bien pire que d'être détestée. Je suis une petite souris grise qui tremble comme une feuille devant une assemblée de chats interloqués et bienveillants. Ou bien je suis un chat qui, au milieu de ses contemporains, oublie qu'il en est un et se voit souris. Ce qui a pour effet de lui coller le cafard! Chose probable, le chat se fait des idées et se morfond pour rien. Il suffit généralement d'un peu de temps pour que chats et souris montrent leurs vrais visages et pour que les recoins sombres de l'inconnu deviennent plus accueillants.

Mais j'ai l'impression de réapprendre à marcher, à parler, à penser et cela m'horripile. Si j'étais de ces artistes qui se métamorphosent à leur guise, pour le plus grand bonheur des spectateurs, tout serait tellement plus simple. Moi qui pensais, il y a peu encore, en avoir fini avec cet absurde stratagème, me revoilà prise dans un piège que je ne connais que trop. J'ai le temps, dit-on, c'est le début et c'est normal. Tout vient à point à qui etc... Chaque jour arrive à l'heure, chaque heure comporte soixante minutes... Je dois "trouver la voie" et remettre la main sur ce trésor de patience quasi-neuf dans son emballage d'origine. Allez savoir si je ne l'ai pas revendu sur ebay après l'obtention de mon diplôme!

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