Plic ploc

"Arrête de pleurer comme une fille! Tu m'énerves!"
La petite chose rouge et reniflante ne sèche pas ses larmes pour autant. Et pour un peu, je l'imiterais presque. Saleté de vieille peau!
Mamie et son petit-rejeton s'éloignent d'un pas hésitant. Mais ce dernier voit ses sanglots redoubler avec l'apparition d'une nouvelle menace : " Tu arrêtes de chialer ou je te reprends tes bonbons!".

Je suis abasourdie. Trois choses:
- Qu'est-ce qui peut bien différencier les larmes d'un garçon et d'une fille? Les unes sont-elles bleues et les autres roses? Ou celles d'un garçon sont-elles simplement plus nobles, plus justifiées que celles d'une fille?
- Que peut-il y avoir de si abjecte à être comme une fille ? Il y aurait presque un côté insultant. Je suppose que l'enfant ne devrait pas le prendre plus mal si sa gentille mémé l'avait taxé de "pitoyable petite merde"!
- Pourquoi méprisons-nous à ce point les pleurs? Qu'il y a-t-il de si terrible à montrer ses émotions?

En fait, ce n'est pas "les émotions" qu'il faut à tout prix cacher, mais bien celle-ci. La tristesse. Les larmes. Le désespoir et l'abandon total de soi. Ne surtout pas montrer à la face du monde que l'on est faible, que l'on perd ses moyens. Rester digne. Rester fort. Être un homme, un vrai, un dur, un tatoué. Un qui rit fort en se tapant sur les cuisses. Un qui rote, qui pète et qui conduit une grosse bagnole. Un qui vide des bières avec les copains devant un match de foot et qui écrase ses clopes sur le carton gras de la pizza. Un qui sait fixer des étagères au poil de cul près, mais qu'est pas fichu de mettre un plat dans un micro-onde. Un qu'ça dérange pas de vivre dans la crasse et le bordel parce que la propreté et l'ordre, c'est bon pour les ramollis du bulbe... Je crois que je m'égare un peu dans mes clichés de brute épaisse. Ce n'est pas vraiment le sujet du jour.

Force est de constater qu'il n'y a donc pas que l'illusion d'être solide qui retienne mes larmes. Je sais parfaitement que je ne suis pas de la trempe du Cromagnon décrit ci-dessus et n'ai nullement la prétention de l'égaler un jour. Enfant, j'étais néanmoins l'archétype même de la gamine qui renifle pour un rien. Un mot blessant, une chute, un jouet cassé, un problème de maths et hop! Les grandes eaux! Enfin, à cet âge, rien de plus normal que de geindre tous les quart d'heure. Passé un certain temps, ça se calme tout seul. On finit par faire le tri entre ce qui est vraiment triste, important et ce qui ne l'est pas. D'ailleurs, on apprend aussi à exprimer sa colère, sa fatigue, sa frustration par d'autres moyens.

Je n'arrive pas pour autant à comprendre à quel moment les larmes deviennent tabou. On ne peut décemment pas imputer ça au nombre considérable de connards qui expliquent à leur progéniture que pleurer fait d'eux des gonzesses...surtout quand on voit le nombre de "gonzesses" pour qui cette explication n'a rien de satisfaisant.
Je tablerai volontiers sur l'adolescence, puisque c'est souvent là que tout se joue. C'est surtout à cette période que la honte, le jugement et le paraître occupent le devant de la scène. A croire que la seule chose qui puisse nous éloigner de notre souffrance, c'est celle des autres! Du coup, quoi d'anormal à trouver sa victoire dans les larmes de ses ennemis? Si, vexé, blessé, humilié, untel se met à pleurer, cela signifie incontestablement qu'il est faible, qu'il admet sa défaite. Se retenir, c'est se protéger, c'est résister et par dessus tout, c'est être "grand". Seuls les enfants pleurent. Les adultes, eux, se conduisent en êtres responsables et restent de marbre.
"Arrête de pleurer comme une fille!"... "Arrête de pleurer, tu n'es plus un bébé!' ..."Tu vas arrêter de chouiner tout le temps pour rien?"... "Si je t'en colle une, tu sauras pourquoi tu pleures!"... "Regard Truc, est-ce qu'il pleure, lui?"...

Pour être mûr, pour être mature, pour s'en sortir dans la vie, il ne faut pas montrer aux autres que tu vas mal. Cela ne les concerne pas! Que ce soit la pire des choses qui puisse t'arriver n'a aucune espèce d'importance. Tu dois sauver les apparences, garder la tête haute. Ainsi, ils te respecteront. La sensibilité n'est en aucun cas un motif de respect. Elle peut pousser les autres à te mépriser ou pire, à tenter de te détruire. L'Homme est un loup pour l'Homme. Les tendres, les fragiles, les faibles, que ce soit sur le plan physique ou sur le plan mental, seront les premières victimes.
Certes, tu as le droit d'être malheureux. Rien de plus normal. Rien de plus humain. Seulement, débrouille toi pour que cela ne se voit pas. Dis-le, à la rigueur ; ne le montre surtout pas. Ce serait inconvenant. Rire, chanter, râler, grimacer, trembler, rêvasser, sourire, crier, d'accord. Pleurer, ça jamais.
Pourtant la vie n'est pas toujours rose. Voir même, elle est absurdement grise. Il y aurait bien des raisons d'en verser une petite. Je n'ai pas toujours, ni l'envie, ni la force, d'attendre le moment opportun, la solitude, pour craquer. Non pas que mes malheurs doivent fatalement être partagés avec mes voisins de métro, mais merde à la fin! Est-ce de ma faute à moi si le monde est aussi lamentable? Quel est au juste le problème? Ils n'ont jamais eu de peine? N'ont jamais ressenti le besoin de vider leurs glandes lacrymales? De se laisser aller une bonne fois ou juste de laisser s'exprimer sa souffrance sans culpabilité?

La vie est faite de hauts et de bas et, manque de bol, les bas sont généralement plus nombreux et plus éprouvants que les hauts. Si l'on a chacun son lot de bas, ceux des autres peuvent parfois nous paraître quatantité négligeable. Mais de là à prendre de haut les bas du voisin..., il ne faut tout de même pas pousser mémé dans les ortis! De ce fait : "Pourquoi cette andouille se donne-t-elle ainsi en spectacle ?" Pour faire parler les débiles!

Commentaires