Astrologie

Comme tous les matins, elle lit son horoscope dans un quotidien gratuit. Le casque sur les oreilles, elle se laisse bercer par le remous du train et la voix de la chanteuse, sur fond de basse.
Une voix toute simple, juste et harmonieuse, sans fioriture. Pas du style à miauler ou à gueuler sans raison. Elle se dit parfois qu’elle pourrait chanter à peu près ainsi, que cela ne doit pas être bien compliqué… si seulement elle ne chantait pas comme une casserole !

Elle survole son horoscope : cinq petites lignes, pas plus.
Cœur, réussite, santé. Trois mots pour résumer le quotidien de tout un chacun. Elle trouve cela « débile » et « réducteur ». Que se passerait-il si elle était délibérément solitaire, sans emploi et malade chronique ? Aurait-elle droit à un horoscope personnalisé ? Eh non, tant pis ! Il fallait se débrouiller pour rentrer dans les cases !
Pourtant, à peine le journal en mains, à peine installée sur un strapontin, toujours le même, à gauche de la porte, dans le sens de la marche. A peine assise, sa feuille de chou entre les doigts, que fait-elle, systématiquement ? Regarde-t-elle le gros titre ? La météo ? Le cour de la bourse ? Non. Toujours son horoscope. Cinq jours par semaine. Juste comme ça, pour rire, prétend-elle lorsqu’elle n’est pas seule. Et puis ceux de ses parents, de ses frères, de ses amis, de ses collègues, quand elle se souvient de leurs signes…

Parfois, un sourire narquois se dessine sur ses lèvres lorsqu’elle lit : « Sagittaire : vous ne serez pas à prendre avec des pincettes ». Elle pense alors à une collègue particulièrement insupportable. C’est écrit, programmé : sa mentalité de merde ne prendra pas de vacances !
Blague à part, songe-t-elle, c’est assez facile de plier les mots à sa réalité. Surtout ces mots-là. De deux choses l’une : soit on est Sagittaire soit on est d’un autre signe. Dans le premier cas, soit l’on est Sagittaire et en colère, soit l’on est Sagittaire tout court, et l’on se surprend à réfléchir à ce qui peut, pourrait ou a bien pu nous contrarier.Dans le second cas, soit l’on connaît un Sagittaire qui aura toujours au moins une bonne raison d’être énervé, soit on n’en connaît aucun et le problème ne se pose pas.

Elle a remarqué que c’est toujours en fin de mois qu’on lui prédit des finances en pleine forme et en fin de semaine que le moral est censé être le meilleur. Elle ne s’étonne jamais, bien sûr, de se découvrir une santé fragile en novembre ou une relation de couple harmonieuse en février. Elle se gausse des facilités prises par ces rédacteurs qui sont certainement plus étudiants fauchés qu’astrologues réputés.
Elle s’amuse des formulations toutes faites et volontairement ambiguës, choisies exprès pour correspondre au plus grand nombre. Des prédictions du genre « Le passage de Mars en Jupiter dynamise votre fin de journée », « Évitez les excès », « Ménagez votre entourage »… Elle tente de se convaincre que c’est surtout pour cela qu’elle lit cette rubrique : traquer sottises et lieux communs, faire le lien entre les différents signes, déceler, dans cet étonnant patchwork, une forme de cohérence.

Elle se plaît à imaginer le quotidien du rédacteur. Aujourd’hui, par exemple, le Verseau en prend pour son grade ! Si ça se trouve, il s’est disputé avec sa compagne, elle-même Verseau, et se venge par écrit. D’ailleurs, c’est peut-être bien lui, le Sagittaire sur les nerfs. Hier en revanche, le Capricorne était gentiment invité à plus de compassion et de générosité : peut-être une façon délicate d’inciter un ami à lui prêter de l’argent ? Demain, avec un peu de chance, le Sagittaire aura peut-être droit à « une soirée romantique en perspective », signe d’une réconciliation ou même d’une nouvelle rencontre.

Le train s’arrête et une foule de pressés s’en échappent. Elle coince le quotidien froissé entre l’assise et le dossier avant de suivre le mouvement. Dans son casque, un nouvel artiste entonne un chant plus énergique. Elle marche en rythme et fredonne le refrain. Dans dix minutes, elle aura complètement oublié le contenu des cinq petites lignes et n’y repensera plus. Jusqu’au lendemain matin.

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