Quelques paillettes

« Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple »
(Spectacle :  Intermède  - Prévert)

 Il y a des auteurs qu’on cite en vain, pour se donner de la contenance, pour étaler un peu sa culture-confiture et montrer qu’elle est abondante, épaisse, sucrée. D’ailleurs, même la confiture, comme métaphore de culture, c’est déjà du déballage prétentieux.
Si je vous dis : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », c’est certainement très juste, très beau et j’adore Le Petit Prince, mais c’est surtout très vain, sorti de son contexte. Certes, ça fait toujours son petit effet, mais la citation est usée jusqu’à la corde et perd un peu de sa saveur à force de répétition. Ce qui, une fois encore, n’enlève rien à sa beauté.

On peut aussi s’en dégotter de plus confidentielles qui font généralement plus intello encore : « Des mouches aux mains d’enfants espiègles, voici ce que nous sommes pour les Dieux ; ils nous tuent pour s’amuser. » (Le Roi Lear  – Shakespeare)
… Oui, j’avoue, j’ai dû aller la chercher sur Evene, celle-là. Mais que celui qui n’a jamais mis la souris sur ce site pour abreuver de jolis mots son statut facebook me jette la première pierre !
Et plus elles sont longues, plus vous avez de chance de passer pour un héros :

« Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais : adieu...
Pour jamais ! Ah, Seigneur ! songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts. »
(Bérénice  – Racine)

Alors attention, il faut vraiment l’apprendre par cœur et surtout, ne pas se louper d’une virgule, sinon, forcément, ça tombe à plat ! Et non, pour ceux qui se poseraient la question, je vous assure que Le Corbeau et le Renard ou une chanson de Francis Cabrel ne font pas du tout le même effet !
Mais pour être tout à fait honnête, je trouve qu’un tel niveau de connaissance et de mémoire, ça a quelque chose d’un peu effrayant. J'imagine bien ces gens passer leurs soirées et leur week-end à tenter d'apprendre des bouts de textes divers et variés, puis attendre le moment opportun pour les recracher à leur auditoire médusé. Chacun ses loisirs, après tout...
Quoi qu’il en soit, si vous vous y collez également, vous êtes à peu près sûr de ne pas passer inaperçu !

Il y a aussi ces citations qui vous changent la vie, enfin, plutôt qui vous parlent vraiment. Celles qui ne se contentent pas d’aligner de belles formules et de charmants poncifs sur l’amour et l’amitié mais qui donnent l’impression d’avoir été écrites rien que pour vous.
« Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ».
C’est plus qu’une citation qui m’a tapée dans l’œil, c’est une philosophie en un peu plus de dix mots ! Prévert a absolument tout compris. On pourrait en faire une dissert’ en trois parties de trois sous-parties chacune ! Bon, à défaut, je vais plutôt tenter d’en parler en trois paragraphes et sans trop me prendre la tête.

La règle de base est simple : « La vie, c’est de la merde. » Si l’on veut briller en société à partir de ce constat, deux choix s’offrent à nous. Prendre une citation tragi-comique directement piochée dans le registre familial d’une de mes amies : « La vie est une tartine de merde qu’il faut avaler jusqu’au bout » ; ou bien en sélectionner une parmi le répertoire très fourni de nos auteurs chéris. La vie, la mort, les joies et les peines constituent le b.a-ba de la citation branchée !
Prévert reprend donc en douce cette thématique de la-vie-à-chier . Finalement, il ne nous parle pas de la quête du bonheur, il ne se la joue pas optimiste forcené. Il nous dit simplement, ok les gars, le monde se vautre lamentablement, votre vie entière sera semée  d’embuches et d’horreurs, alors qu’est-ce qu’on fait ? On se cache sous une table, on ferme les yeux et on attend que ça passe ? On se blinde le cœur au béton armé pour ne plus rien ressentir ? On pleure toutes les larmes de son petit corps jusqu’à ce que nos yeux soient secs et nos joues gercées ? Ou alors on tente, envers et contre tout, de remonter la pente ?
Ce n’est pas un appel à l’indifférence. Évidemment qu’on ne peut pas danser sur une table quand tout son univers se casse la figure ! C’est juste qu’effectivement le bonheur ne pousse pas dans les arbres et n’y poussera jamais. La vie est réellement une tartine de merde et c’est à nous de nous débrouiller pour y ajouter un peu de glaçage et de paillettes colorées quand cela est possible. Ça ne changera pas tellement le goût mais ça permet de prendre conscience que ce matin, on a eu des paillettes colorées en plus de la merde habituelle, et quand même, c’est pas si mal ! Peut-être même qu’on peut appeler ça « être heureux ».  Et peut-être même qu’avec un peu de chance, ça deviendra contagieux.

Bon alors,  bien sûr , ce n’est que mon point de vue et je suis loin d’être une experte en la matière. C’est juste ce que ces quelques mots m’inspirent chaque fois qu’ils me passent par la tête. J'essaye donc de faire en sorte qu'ils y passent le plus souvent possible !
Dans la prochaine rubrique de « Je vous bourre le mou avec mes citations préférées », nous aborderons (ou pas) le superbe « J’ai décidé d’affronter la réalité, alors dès qu’elle se présente bien, prévenez-moi » de Mafalda.
J’ai hâte !

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