Carte postale

Arbres, arbres, rivière, arbres, caravanes, maisons, prés, vaches, arbres...
Je me goinfre d'images avant que la nuit ne tombe.
Arbres, arbres, lac, arbres, toujours arbres... C'est tout de même mieux qu'une vaste forêt d'immeubles immondes plantée là, au coeur d'une ville qu'on ne prendrait même pas la peine de regarder passer depuis le train. A quoi bon? On y est tout le temps, de toute façon...
Alors je me nourris des arbres, des ruisseaux, des champs, je gobe vaches, chevaux et moutons de mes yeux fatigués par le rythme régulier du TGV, ses soubresauts légers lors des virages, son ronronnement incessant, si bien qu'on a l'impression qu'il vit au beau milieu de notre oreille interne.
C'est ainsi: je contemple le paysage et lorsqu'il se rapproche trop de mon quotidien, de ce qui me plombe le moral jour après jour, je détourne le regard de la fenêtre pour le poser sur les passagers. Je me concentre sur ce qu'ils font, ce qu'ils disent parfois, sur ce qu'ils mangent, lisent, contemplent, sur leurs visages, leurs gestes, leur ennui. Je les détaille un moment avant de changer de "tête". Je bavarde. Deux-trois mots, rarement plus, avec celui qui m'accompagne et... c'est fou! Parce qu'on a 3h30 devant nous, rien qu'à nous, et pourtant si peu à se dire. On pourrait en profiter. C'est ce que font généralement les gens qui s'aiment lorsqu'ils se voient: parler, partager des heures durant... Mais pendant que la nature défile et jusqu'à ce qu'elle cède la place à cette ville monstrueuse, tentaculaire, monotone, c'est un peu comme si le temps s'arrêtait, comme si l'ennui régnait en maître sur ce domaine mobile.

Finalement, c'est dans une salle d'attente longiligne que l'on se balade pendant 3h30, une salle d'attente où nul ne parle, où l'on se contente occasionnellement de murmurer quelques banalités (car, bien sûr, on évite de trop s'épancher en public), de bouquiner...etc en attendant que les transistors invoque le prochain... arrêt.
Moi, lire, ça me donne mal au crâne. Enfin... Je ne dis pas cela comme une généralité. Ce serait vraiment paradoxal. Disons plutôt que, lorsque je voyage, lire me rend vaseuse et devient même moins distrayant qu'épuisant. C'est assez clair, non?
Etendue d'herbe et petites maisons.
Il regarde droit devant lui. Je le regarde. Il s'emmerde.
Forêt, ferme, poteaux, sièges, tablettes...Lui. Pas vraiment fatigué, plutôt blasé. 3h30, ce n'est pourtant pas énorme ; surtout quand on est accompagné. Toutefois, est-on seulement "accompagné"? Si l'on ne parle pas, qu'on attend sagement, immobile et qu'en plus, on ne peut rien faire de peur de gêner les cinquante autres abrutis qui s'ennuient autant que vous, ça ne sert pas à grand chose d'être accompagné! Surtout si l'autre dort, lit, écrit, chatouille un clavier, joue ou compte les arbres... Il y en a tellement ; ça change...
Ou alors, si: on peut manger. Une excellente manière de communiquer que de partager un repas ou un petit case-dalle!
Cela dit, je n'ai plus vraiment faim.
Ecrire, c'est un peu comme lire (et pour cause!) : ça me remue systématiquement les entrailles.
Soupire, geste, arbres, arbres, arbres...

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