Les filles à la vanille...

"J'ai pas aimé ce livre parce que les histoires de filles, ça m'intéresse pas."
Alors, bon, de deux choses l'une: soit celui qui a prononcé ces mots va finir sa vie dans un monastère avec pour seul réconfort, sa main droite et une boite de clean-ex, soit il a de sérieuses difficultés avec la notion de "genre".
Enfin, féministe mais pas totalement hystérique (en admettant que ce mot ait encore un sens de nos jours), je ne me suis pas énervée, j'ai pris une profonde inspiration, notamment afin d'éviter tout massacre inopportun (effectivement, c'était pas l'idéal devant une trentaine de témoins) et j'ai attendu la suite. La suite rêvée, évidemment, c'aurait été une explication plus raisonnable, voir même des excuses. Je sais bien qu'espérer un "vrai raisonnement" d'un individu aussi étroit d'esprit et de surcroit âgé de seize ans, c'est un peu comme espérer que le troisième épisode de Dr House diffusé par TF1 ne sera pas une redif' mais bon, de toute façon, même quand c'est inscrit noir sur blanc dans Télérama, je nourris toujours cet espoir insensé! Alors pour les élèves de seconde, pareil: j'attends l'illumination...
Je risque d'attendre longtemps! Le mufle a bredouillé deux ou trois arguments confus, s'est enfoncé encore un peu lorsqu'il a ajouté l'homophobie à la misogynie (on est rarement con qu'à moitié) et a fini par céder à la pression ambiante:
"Oui mais non, parce qu'en fait, ça aurait été des garçons, j'aurais pas aimé non plus parce que j'aime pas quand les gens racontent... leur vie".
Effectivement, à ce niveau, c'est même plus le monastère, mais carrément le tête à tête avec un troupeau de chèvres dans la montagne la plus reculée du Tadjikistan! Bon, mettons ça sur le compte de l'égocentrisme naturel de tout adolescent et ça ira peut-être mieux. De toute façon, on ne peut décemment pas envisager qu'il soit entièrement crétin, sexiste, voir fasciste, et anti-individualiste, si?

Ou est-il possible que je me fourvoie sur la question? Je n'ose imaginer et pourtant... Il y a quand même des chances que je prenne le problème à l'envers... Car enfin, ce serait dingue, j'en conviens, et totalement archaïque, néanmoins... Existe-il encore, dans notre belle et grande civilisation, des nigauds capables d'affirmer, sans rougir et d'en être convaincu, que le rose c'est pour les filles, le bleu pour les garçons, de même que les poupées, nounours et dînettes sont pour les premières et que les soldats, ballons et petites voitures sauront faire des seconds de vrais "mâles" (à prononcer en appuyant très fort sur le "A")??? Non , vraiment, ce serait trop absurde! Rien que l'idée que l'on puisse conditionner à ce point ces pauvres petites choses à peine sortie de l'utérus, m'amuse et me consterne tout autant.
Parce que mine de rien, j'ai l'impression qu'on fait tous, hommes comme femmes, notre possible pour maintenir chacun dans des rôles préétablis: émotions et pouponnage pour Madame, action et carrière pour Monsieur! Pourtant, après tant d'efforts fournis en faveur de l'égalité, ce serait un peu fort, non? J'ai quand même du mal à concevoir qu'après les luttes acharnées menées par nos prédécesseurs (et en particulier nos "prédécesseuses"), leurs enfants et petits enfants, filles et petites filles, osent aller récupérer ces chaînes rouillées et totalement dépassées dans la poubelle, au milieu d'ordures comme la peine de mort, l'esclavage, la torture... (beurk!).

Cependant, il faut bien les pardonner, ces petits naïfs, car après tout, c'est tellement rassurant de pouvoir se situer dans un groupe d'individus. On se sent bien, confiant et heureux, entouré de clones que ces préjugés tenaces nous imposent, sans même que l'on s'en apperçoive. On se sent moins seul dans ce monde cruel, trop grand pour de si petits "nous". Car, quoi qu'il arrive et quels que soient nos progrès récents, on aura continuellement besoin de se situer au sein d'un ensemble, d'une communauté afin de trouver sa vraie place. Sexe, religion, pays, mode, parti politique, club de foot... tout est bon pour aider un idiot en mal d'identité à se forger sa petite illusion! Se rendra-t-il seulement compte du paradoxe infernal? Aura-t-il un jour conscience d'étouffer ses convictions et ses désirs réels au profit de ces normes pastiches?

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