Fais pas ci! Fais pas ça!

J’ai été voir l’exposition Jacques Tati à la cinémathèque française. C’était une sortie très agréable bien que n’ayant rien d’inoubliable ; et l’information énoncée telle quelle a au moins autant d’importance pour vous que la composition de mon petit déjeuner d’avant-hier ! Toutefois, elle a le mérite de constituer une entrée en matière assez correcte pour mon sujet du jour, à savoir l’un des suppôts de Satan du XXIème siècle. J’ai nommé : le tabac ! (tatsaaaan !).
Oui car pour moi, l’exposition en question était alors indissociable de la micro-polémique qu’a suscitée son affiche autour de la célèbre pipe… pardon ! Regrettable erreur ! Je voulais bien évidemment parler « du mémorable moulin à vent » de Monsieur Hulot ! (Sait-on jamais, des fois que l’organisme publicitaire de la SNCF passe dans les parages, je pourrais être censurée pour ces propos mensongers, car il est de notoriété public que pas un seul héros du septième art ne fume).

Moi qui ne fume pas (je demeure d’ailleurs catégorique : ça pue, bousille la peau et rend les dents jaune !), j’ai donc mis un temps considérable avant de m’apercevoir de la tournure grotesque que prenaient les mesures anti-tabac dans notre pays. Que « Le fumoir » et le « Chien qui fume » soient devenu non-fumeurs, qu’un bar à chicha se voit désormais privé de chicha ou que les rues soient devenues irrespirables depuis que tous les fumeurs sortent pour s’en griller une, passent encore. Mais que l’on retire « subrepticement » cigarette, pipe et cigare des bouches et des mains de personnages célèbres (réels ou non) relève de la science fiction !
Encore quelques années et l’on verra, sur des images d’archive, Jean-Paul Sartre extirper une fumée blanchâtre d’un stylo, voir d’une flûte traversière. Encore quelques années et le Capitaine Haddock subira le même sort que Lucky Luke et se mettra à fumer une branche de noisetier dans une réédition politiquement correcte des aventures de Tintin. Encore quelques années et même les buveurs d’absinthe de Manet devront s’en tenir au jus d’orange !
Est-il possible que d’innocentes images puissent donner envie à des âmes sensibles et influençables d’allumer une Marlboro ou une Gitane ? Faut-il être alors sacrément débile ? Ou peut-être avoir cinq ans, mais je ne suis pas sûre que les fumeurs et toxico soient si nombreux que ça à l’école maternelle. Peut-être craint-on simplement qu’après la cigarette, il se mettent à fumer de l’herbe, à se piquer, à voler les sacs à main des vieilles dames, à incendier des bagnoles et ainsi de suite jusqu’à la case prison… Le raccourci serait, certes, un peu facile, mais, après tout, qui suis-je pour donner mon avis à ce sujet ?

Ou alors, ce pourrait être pour éviter que tous ces cancéreux potentiels et leur descendance asthmatique ne coûtent trop cher à la sécurité sociale. Pourtant, il va de soi qu’un fumeur mort consomme bien moins qu’un non-fumeur qui s’éternise.
Et si encore on ne cassait les pieds qu’aux fumeurs en tous genres et aux amateurs de cinéma, ma chronique n’aurait pas lieu d’être. Mais il faut en plus qu’on nous rabatte les oreilles de gentils petits conseils pour apprendre à vivre et à consommer plus longtemps et en meilleur santé : « Ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé », « Fait du sport et ne reste pas trop longtemps devant un écran » (assez paradoxale venant de l’écran en question), « Mange au moins cinq fruits et légumes par jour » (et donc, n’oublie pas de gagner au Millionnaire !),
« met la main devant ta bouche quand tu tousses », « brosse-toi les dents après chaque repas », « couvre-toi bien avant de sortir, il fait froid dehors ! »… Bon, je crois que j’exagère un peu vers la fin mais l’idée reste la même.
Je n’arrive pas à comprendre ce que l’on peut gagner à infantiliser les gens de la sorte. J’imagine qu’il y en a bien parmi eux qui n’ont pas encore compris que les haricots verts étaient plus sains que les frites, qu’il ne fallait pas laisser couler l’eau pendant qu’on promène le chien, que l’abus d’alcool nuit gravement à la santé, et c’est évidemment très louable de les prévenir ! J’imagine aussi qu’il faut instruire les enfants à ce sujet (parce que les parents sont probablement trop occupé à « travailler plus » ou à regarder la Star Ac’ pour leur enseigner ces règles élémentaires). Mais qu’en est-il de ceux qui restent ? Ceux, comme vous et moi, qui, merci bien, sont au courant et aimeraient qu’on leur lâche un peu les noix !

A-t-on vraiment envie de s’entendre dire, à chaque fois qu’on se risque à manger une pizza, que ça va nous tomber tout droit sur les hanches, nous rendre diabétique, obèse, boucher nos artères et nous provoquer dans la semaine un accident cardio-vasculaire ? Enfin, bon, soyons réalistes : on sait parfaitement que ce n’est pas très équilibré mais à quoi bon vivre si ce n’est que pour engloutir des choux de Bruxelles ? Obélix aurait-il été le bon vivant que nous connaissons, symbole incontestable de la bande dessinée gauloise, si par souci de préserver nos jeunes têtes blondes, brunes ou rousses et leur précieuse innocence (stupidité ?), on avait remplacé son fameux sanglier par une petite salade (vinaigrette allégée, cela va sans dire) ? …
J’essaye de visualiser ce grand sensible dans une telle situation et j’en ai déjà les yeux qui piquent de compassion.

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi une telle dictature du « consommablement-correcte » ? Au service de pub de la SNCF comme aux autres du même acabit, la question est posée.
Laissez-nous le choix de devenir, ou pas, des épaves dignes de ce nom et foutez un peu la paix aux personnages de fiction (qui n’ont d’autre existence que celle qu’on veut bien leur prêter) et à ces artistes qui, s’ils en avaient encore la force, se retourneraient volontiers dans leurs tombes.
Obélix sans sanglier.
Coco Chanel, Gainsbourg sans la clope au bec.
Sartre et Brassens sans leurs pipes.
Baudelaire, Hemingway… sans un verre de trop.
Et très prochainement, qui sait, moi sans Nutella, ourson en guimauve, sucette à l’anis, crocodile en gélatine, Banana Split, roudoudou, chewing-gum… ?

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