Sommeil agité

- Tu sais, la nuit dernière, j’ai fais un rêve curieux (gorgée de café, claquement de langue)… curieux et tellement réaliste ! Si bien que quand je suis sorti ce matin, j’étais presque étonné de voir la ville telle que je l’avais laissée hier.
- (gorgée de bière, regard en biais) Et tu comptes me le raconter ou faire durer le suspens ?
- (gorgée de café, hésitation, lèvres entrouvertes)… Je te préviens, c’est vraiment absurde… En fait, je me réveillais le matin, comme tous les matins, pour aller au bureau. Jusque là rien d’anormal. Même radio, même petit déjeuner, en somme, même rituel.
Vers huit heures, j’ai enfilé mes chaussures, mon pardessus, j’ai attrapé mon attaché-case et descendu les quatre étages…comme d’habitude. Mais quand j’ai poussé la porte, j’ai senti que quelque chose clochait. Tu connais le quartier ; à cette heure de la journée, il est déjà noir de monde et là, pas un chat ! Ou plutôt si : des chats, des chiens et toute une colonie de pigeons affalés lascivement sur des sacs de couchages. Je me rappelle même avoir vu un de ces oiseaux plonger le bec dans une bouteille de vin rouge… Enfin, bref : pas d’humain à l’horizon. Sur le moment, ça ne m’a pas vraiment choqué. Tu comprends, dans un rêve comme dans la vraie vie, moi, quand je dois aller bosser, rien ne peut m’arrêter. J’ai donc marché cinq minutes jusqu’au métro, sans trop me poser de questions. J’ai simplement pensé qu’une fois arrivée sur le boulevard, je retrouverai enfin la foule en délire du jeudi matin.
- Et alors… ?
- Des moutons.
- Pardon ?
- La première chose que j’ai vu, ce sont des moutons. Il y en avait au moins une douzaine et certains portaient des casquettes multicolores ou des appareils photos autour du cou. Ils me sont passés sous le nez en bêlant et ont disparu au coin de la rue.
- Des moutons à Paris ? Il est particulier, ton rêve !
- Et ce n’est pas fini. En arrivant aux abords du métro, il y avait des hyènes installées sur les marches. Elles portaient des ballerines et des bijoux en plastique coloré. J’ai encore leurs stupides ricanements dans les oreilles. Non loin de là, des paons faisaient la roue sur des planches à roulettes en criant très fort. Le plus drôle, c’est qu’on aurait dit qu’ils essayaient d’attirer leur attention. (gorgée de café)
Imperturbable j’ai poursuivi mon chemin jusqu’aux quais, et là… tu ne vas jamais me croire ! Des dizaines et des dizaines de vaches, brunes, beiges, rousses, tachetés, mouchetées, attendaient le métro. Elles regardaient passer celui d’en face en remuant lentement la tête et lorsque le leur arrivait, elles se ruaient toutes à l’intérieur à grand renfort de coups de cornes et de meuglements. Je me souviens très bien en avoir laissé passer plusieurs de peur d’être réduit en charpies pas ce troupeau déchainé. A ce moment là, tout me paraissait absolument normal, si ce n’est que j’étais déjà légèrement en retard…
Une fois à bord, j’ai constaté que j’avais oublié d’acheter le journal… Cela dit, avec le recul du type éveillé, je vois mal à qui j’aurais pu l’acheter. J’en ai donc profité pour regarder un peu ce qui se passait autour de moi. Un zoo ambulant ! Il y avait même des espèces dont je serais incapable de te ressortir le nom.
Installé en face de moi, j’ai d’abord vu un perroquet avec des écouteurs sur la tête. Il se balançait au rythme de la musique et sifflait de temps à autre une mélodie à la mode. A ses côtés, un lama mâchouillait sans relâche… un chewing-gum rose et en faisait des bulles énormes. A ma droite, une poule, une dinde et une grue gloussaient à qui mieux-mieux, chacune couvant un minuscule sac Vuitton d’où dépassaient le dernier numéro de Cosmopolitain. Dans le fond du wagon, un groupe de ouistitis hurlait en secouant fort leurs chaines en plaqué or. Tout prés d’eux, un kangourou leur adressait parfois des regards courroucés. Après trois stations, probablement gêné par tant de raffut, je le vis descendre en poussant un landau. Si tu veux mon avis, il est remonté dans le wagon suivant.
Je suis descendu à Stalingrad et j’ai regagné la surface à toute vitesse. Un couple d’inséparables a ronchonné lorsque je les ai bousculés pour pouvoir grimper l’escalator. Je n’ai même pas pris le temps de m’excuser : j’avais déjà vingt minutes de retard.
- Vraiment bizarre, en effet…et (gorgée de bière, haussement d’épaules)…c’est tout ?
- Oui, plus ou moins. Lorsque je suis entré dans le hall en saluant à la cantonade la girafe de l’accueil, il commençait tout juste à pleuvoir. Entre nous, je m’en doutais un peu : je m’étais passé la patte derrière l’oreille juste avant de partir, alors…

Commentaires

  1. Ca me fait penser a la 4e de couverture (oui parce que je ne l'ai pas encore lu) de "La revanche des otaries". C'est une réecriture humoristique de l'arche de noé sorti cette année. Ca devrait te plaire ;)

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