Droit de réserve

(ou Le Retour de Little Miss Shy)


Dans les magazines, les émissions de télévision ou dans la vie de tous les jours, la timidité est présentée comme une maladie qu’il faut éradiquer.
Combattez votre timidité ! Comment la vaincre en 10 leçons ? La timidité, bientôt, elle ne sera plus un problème.A-t-on jamais pensé à débarrasser tous ces nuls prétentieux de leur attitude souvent trop familière ? Non, car dans l’idéologie populaire, une attitude trèèès chaleureuse n’a jamais été considérée comme un défaut !
J’imagine bien un Terminator débarquer avec son artillerie lourde et régler méchamment son compte à ma timidité. Ah ! Tu ferais moins la maligne, petite vicieuse ! Oui, mais voilà, Schwarzenegger ne viendra pas. Je vais devoir me débrouiller toute seule avec ce fardeau.
Chaque fois que quelqu’un se targue d’avoir une solution pour dissoudre comme par magie cet incommensurable défaut, je ne peux m’empêcher de tendre une oreille, un œil attentif. Sait-on jamais, ce pourrait être vrai, pour une fois. Mais ce n’est généralement qu’un leurre de plus et un espoir de moins.
Le gens prétendant comprendre ce que nous autres coincés ressentons et avoir eux-mêmes réussi à terrasser ce sentiment me font rire jaune. Les vrais timides le restent toute leur vie. Pire encore, ils le transmettent à leurs enfants, qui leur en voudront jusqu’à leur mort de n’avoir pas songé à leur donner davantage confiance en eux, mais qui répèteront pourtant ce schéma idyllique sur leurs propres rejetons.

Non, messieurs les journalistes ! Non, amis, famille, collègues ! La timidité ne se combat pas. Elle se domestique. On apprend à vivre avec comme avec une myopie, un nez trop gros, une jambe plus courte que l’autre… Elle fait partie de nous, de notre identité et je commence à me dire que me l’arracher sauvagement, ce serait comme me couper un bras.
La timidité, c’est une gangrène que les autres sont seuls à voir. Bien sûr, elle nous dérange, bien sûr, elle est même souvent handicapante, mais ce n’est pas le fond du problème. Ce n’est qu’un aspect de notre personnalité qui, malheureusement, déplait plus qu’un d’autre.
Et c’est là que se situe le malaise ! Nous ne souffrons pas réellement de notre timidité. Nous souffrons du regard déplaisant que les gens posent sur elle et des adorables étiquettes qui nous sont attribuées.
Un petit exemple: "Elle aurait pas un balais dans le séant, ta copine?!?" (tout à fait charmant, n'est-il pas?) Bah non, sa copine a juste un peu de mal à sauté au cou du premier néandertalien venu, excusez-la du peu!

Bien sûr, toutes ces belles paroles, ces revendications, ces grandes théories tombent en lambeaux lorsque survient une épreuve difficile. Difficile n’a pas vraiment la même signification pour vous que pour moi.
Acheter une baguette lorsqu’on à huit ans est une épreuve quasi-insurmontable pour une gamine timide. Non seulement elle a peur des Grands, mais elle craint également de se tromper : « Une baguette pas trop cuite, s’il vous plait Madame » se répète-t-elle sur le chemin de la boulangerie.
Et une fois passé le seuil de la boutique, c’est le drame ! La boulangère est un boulanger ! « Une baguette pas trop cuite, s’il vous plait Monsieur » murmure-t-elle donc dans la file d’attente.
Voilà, elle y est. Trop tard pour prendre ses jambes à son cou et avouer à maman qu’elle devra y aller elle-même.
- Bonjour Mademoiselle, chantonne le commerçant, Et pour vous, ce sera quoi ?
- Mmmmmh baguette mmmhmmm…
- Parle plus fort, ma puce, je ne t’entends pas.
Encore une chose qui nous met dans l’embarras : ne pas être compris ou entendu, devoir se répéter, faire durer le supplice jusqu’à ce que toutes les informations soient correctement transmises.
- UnebaguettepastropcuitesiouplaitMonsieur
- Ah je suis désolé, ma grande, mais j’ai plus de baguette. Il me reste une tradition si tu veux.
Alors la tradition fera l’affaire. Peu importe qu’elles soient immangeables, trop cuite ou qu’elle date de la veille. L’important, c’est surtout de ne pas réitérer l’expérience dans une seconde boulangerie.

Mais ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres. J’aurais pu choisir de vous parler en détail d’un exposé oral au lycée, de ma tentative désespérée d’attirer l’attention du petit Trucmuche dans la cour du collège, d'un entretient d'embauche foireux parmi tant d'autres. Mettons que je me réserve pour un autre retour.
Quoi qu'il en soit, dans ce genre de situations la timidité n’est plus uniquement un nez quelque peu disgracieux, c’est un furoncle! Si vous faites semblant de ne pas l'avoir remarqué, il y aura toujours quelqu'un pour vous le pointer du doigt, et si vous louchez dessus continuellement, vous passez pour une andouille. Fort heureusement, toute épreuve à une fin et même si l'objectif fixé se révèle être un véritable échec, notre unique victoire, c'est probablement d'y avoir survécu.

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