She's alive !

J'ai extirpé la boite blanche en carton de son papier cadeau mal fagoté. Je ne me rappelle pas exactement de la couleur, mais je me souviens avoir eu du mal à ôter tout le scotch, à retirer les morceaux de polystyrène et le sac plastique censé la protéger.
C'est une chose curieuse que de trouver une poupée en porcelaine au pied d'un sapin de noël. Surtout lorsqu'il est destiné à des adultes. Rires. Approbations. Sarcasmes. Grimaces. La créature aurait pu tomber sur n'importe qui, il a fallut que ce soit moi. J'imagine la tête de celles et ceux (plus particulièrement CEUX...un relent archaïque de sexisme probablement) qui aurait pu la recevoir à ma place. Je suis gênée. D'abord parce qu'elle est hideuse. Ensuite parce que je me sens comme maintenue de force dans le rôle de la petite dernière de l'équipe. J'ai peur de vexer. Je souris.

Pas question de ramener ça chez moi! Et d'ailleurs pour en faire quoi? Deux solution: la poubelle ou le bureau. J'opte sans conviction pour la seconde en attendant mieux. La créature trône fièrement sur son socle au milieu de la table, au milieu de la pièce pendant plusieurs mois. Selon moi, les poupées en porcelaine et certaines de leurs homologues en tissu ont quelque chose d'effrayant. Figées, elles me font penser à des bébés immolés dans du plâtre, à des monstres anthropomorphes (elle a trop regardé "Choukie" peut-être la p'tite dame? ...bah non pourtant...). Enfin, soyons francs, elles n'ont rien d'humain et pourtant, elles devraient. C'est déstabilisant, ces cheveux, ces vêtements, ces billes ornées de cils... Du faux qui fait vrai ou du vrai qui fait faux. J'ai commencé à la trouver angoissante, avec sa mine boudeuse et ses airs de Mona Lisa qui vous scrute pour un oui ou pour un non. Heureusement que je l'ai laissé ici, vous imaginez l'angoisse à la maison?
Mais c'est complètement absurde! Ce n'est qu'un jouet, un objet décoratif. Ah! Pour ce qu'il a de décoratif! Les cils tombent, la colle est apparente, les tresses sont mal faites, la fausse fourrure blanche de ses vêtements nordiques se fait la belle, la dentelle des bas est décousue. Elle sort tout droit d'un grenier, ma parole?! Non, ce n'est pas joli. C'est même carrément moche. Pire, c'est grotesque. Pour "rompre le charme", je commence à lui "parler". Un petit bonjour le matin. Le contact est noué. J'essaye d'abord de l'arranger. Je lui refais les tresses, je la redresse lorsqu'elle chute. C'est peine perdue: elle ressemble à une princesse scandinave fauchée qui aurait eu une sale aventure avec une tondeuse à gazon.
Un soir, alors que je rassemble mes affaires, je lui trouve quelque chose de changé. Sur le coup, je ne parviens pas à mettre le doigt dessus...à moins que... Quelle évidence! Un coupe papier et un pinceau ont été glissés dans chacune de ses manches et semblent remplacer ses mains. Je sais maintenant ce que je vais faire de toi!

Je commence par lui mettre un second coupe-papier en lieu et place du pinceau, afin de la rendre moins "artiste", plus "monstrueuse", mais comme les mains dépassent encore, je me résous à les lui enlever. C'est facile car il suffit de couper la ficelle qui maintient les membres de porcelaine au reste du corps de coton. Bienvenue dans un film d'horreur! Mais cela ne suffit pas. Elle a toujours cet air faussement angélique déconcertant. Je décide de la transformer en ce qu'elle a toujours été pour moi : un monstre.
Première évidence: le matériel manque, je ne suis pas dans un magasin de farces et attrapes. Il faudra faire avec. Ce sera la première poupée "redécorée" entièrement avec du matériel de bureau. Deuxième évidence : la personne qui l'a mise au pied du sapin ne va pas apprécier, je pense pouvoir m'en remettre. Après tout, c'est sur MON bureau que trône cette horreur.
Alors au travail!

L'étape suivante, c'est ce visage blafard, figé comme celui d'une passagère du Titanic. J'y grave deux balafres au commissures des lèvres, un sourire charmant façon Joker, que je comble à l'aide d'un stylo-bille rouge, le feutre ne tenant pas, et d'un peu de noir pour plus de réalisme. Idem pour les yeux que je colorie grossièrement. La bouche quant à elle se retrouve peinte en noir luisant. Parfait! Je suis satisfaite de mon oeuvre, du moins pour un temps...
Bien vite, je décide que les cheveux d'ange dorés en nattes d'écolière ne me conviennent plus. Je commence par les noircir au feutre mais j'en ai plein les doigts, c'est plus violacé que noir et, vraiment, c'est dégueulasse. Je finis par les couper, laissant dépasser quelques mèches par des trous percés dans le chapeau, lequel se retrouve orné de vices. Elle aurait presque un côté loup-garou de garde à présent. Pourtant les cheveux ne me conviennent toujours pas et je mets un long moment avant de trouver ce qu'il faut en faire.
Je m'attaque au reste du corps pour me...changer les idées. Du feutre rouge sanguinolent sur la fourrure immaculée de la robe, des trombones tordus qui paraissent lui sortir du ventre, une corde de pendu (merci en passant) autour du cou. Et toujours ces cheveux qui me perturbent! Je pensais les crêper et y loger quelques araignées en plastique, mais les arachnophobes du coin crient bien vite au veto et je crains de faire une entorse à ma ligne directrice : rien qui ne provienne de "l'extérieur". Que faire, que faire?

La révélation arrive avec une vieille cassette audio dépiautée. Je vais utiliser la bande pour lui faire une chevelure gorgonesque. Je coupe ce qu'il reste de cheveux à ras et tasse la nouvelle perruque sous le bonnet. Le résultat est plutôt convaincant.
Ne trouvant aucun autre supplice à lui faire endurer, la poupée restera telle quelle pendant une longue période. Elle verra également sa popularité grimper auprès de certains et suscitera quelques frayeurs auprès d'autres, des psychorigides qui manquent d'humour indubitablement. "De toute façon, cette fille, elle a un gros problème! Faire ça à une si jolie poupée!!!" Bah oui, j'ai un problème : maintenant qu'elle est défigurée et réellement laide à faire peur, je m'y suis attachée.
Il faut donc lui donner un nom. Ce sera MORTICIA. La famille Adams l'aurait sûrement adoptée avec plaisir et je trouve que cela lui va bien. Qu'il en soit ainsi... Je la salue donc, matin et soir, avec ce patronyme glaçant, ce qui nous confère à toutes deux une aura inquiétante. Je jubile. On y réfléchira à deux fois avant de m'offrir une poupée!

Un jour (peu de temps, en fait, après sa consécration dans un film d'auteur) Morticia se fait un nouvel ami : un poupon, déjà mal en point, à qui j'ai pris soin de bander les yeux pour mieux le ficeler et le suspendre, tête en bas, au radiateur. Ils s'entendent bien, il me semble.
Entre temps, pour conclure en beauté la série de mutilations, je me suis attaquée à une partie de son anatomie que j'avais jusqu'alors délaissée. Les jambes. J'ai donc opté pour quelque chose de simple. Un des pieds de porcelaine à rejoint les deux bras dans un tiroir du bureau. Le membre amputé fut remplacé avec succès par une jambe de bois, figurée par un crayon mâchouillé. J'avais finis par achever mon oeuvre (au propre comme au figuré).

Depuis, Morticia a quitté non sans mélancolie son compagnon d'infortune. Force m'est de constater que je ne peux plus me passer d'elle, c'est pourquoi elle attend sagement son heure dans un placard. Si prochainement j'estime que je n'ai pas à rougir de ma...bizarrerie naturelle, peut-être reprendra-t-elle enfin la place qui lui revient de droit. C'est tout ce qu'elle désire.

Commentaires

  1. Si tu la sors et que vous avez l'équivalent d'une Sylvie L. à Neuilly, tu vas te faire une nouvelle copine direct !

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  2. Ce serait effectivement un bon moyen de repérer les "copin(e)s potentiel(le)s"!

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