Interlude

Je ne suis contrainte à rien. Physiquement, j'ai le choix. Moralement, je m'impose une conduite. Financièrement, je finirais par être à court.
C'est pour les deux dernières affirmations que le bas blesse. Pourtant je ne peux m'empêcher d'y songer presque chaque matin, alors que je suis ballottée dans le métro, au milieu d'une foule austère de travailleurs-androïdes et de touristes-automatiques. Je pourrais le faire. Descendre à la station suivante et passer la journée entière à bouquiner et à rêvasser dans un de mes salons de thé préférés. Prendre la correspondance et aller me perdre dans une forêt, un parc, un jardin. Faire demi-tour, rentrer à la maison, partager un vrai petit déjeuné avec ma "moitié", couper le téléphone...et recommencer les jours suivants. Changer radicalement de chemin, flâner, aller au cinéma, à la piscine ou dans un musée, puis débarquer comme une fleur quelques minutes avant la fermeture. Ou encore, prendre le chemin d'une gare, d'un aéroport et prendre un billet pour la destination la plus alléchante. Un petit saut sur les plages normandes. Une semaine improvisée à Londres. Un retour inopiné en Italie, pour finir ce que j'avais commencé, ou me lancer dans un périple comme dans Trop n'est pas assez (mais sans le côté sordide). Peut-être même disparaître quelque temps comme dans Lulu femme nue, puisqu'on en est à causer bd! Faire un tour au soleil, découvrir des choses, partir à l'aventure ou tout simplement s'installer sereinement dans le quotidien. Ne plus penser : je ne veux pas y aller ; demain m'angoisse ; le week-end fut trop court ; je serais tellement mieux ailleurs.

Ne plus être jugée, observée, pointée du doigt. Ne plus faire constamment attention à ce que l'on peut bien penser de moi : Suis-je trop froide, trop timide, trop stressée? Suis-je stupide, paresseuse, maladroite? Ai-je un humour lamentable, une piètre volonté, un caractère de merde? Et si je n'avais plus envie de me justifier? J'aimerais vraiment prendre l'air, et le plus comique, c'est que je sors à peine d'une semaine de vacances. Mais partir sans demander son reste, c'est tout de même autre chose! Seule, s'il le faut, sans avoir à expliquer pourquoi ni comment. Juste quitter cette ville avec un pauvre sac sur le dos et n'y revenir que lorsque j'aurais fait le plein... ou le vide, je ne sais pas trop.

Ce n'est pas que je déteste cette vie, ce n'est pas que je craque ou que je souhaite repartir à zéro... C'est juste que si parfois la vie pouvait être aussi simple à gérer qu'un DVD, il me suffirait d'appuyer sur le bouton "pause" lorsque j'en ressens le besoin. A noter que les fonctions "avance et retour rapides" seraient bien pratiques aussi!
Bien sûr, elles existent ces pauses, ces vacances, ces moments où l'on part pour mieux se retrouver. Elles sont scrupuleusement étudiées, négociées, fabriquées. Elles ne laissent pas beaucoup de place à l'imprévu (comme lorsque Air France affiche un retard de six heures et perd notre valise à l'arrivée par exemple!) et l'on sait pertinemment qu'elles ont un début...et une fin. L'on si prépare et on l'accepte : c'est déjà beaucoup. Mais pour changer, j'aimerais tenir moi-même la télécommande. Décider seule de l'instant où j'appuie sur "pause" et de celui ou le film peut reprendre.

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