Lulu et Lili font des heures sup'

Ce matin j'ai feuilleté le dossier d'un hebdomadaire connu que je ne citerai pas (mais dont le nom désigne un élément de ponctuation) sur la propension des travailleurs français à se la couler douce.
Allez hop, c'est parti! Et de jeter allègrement la pierre aux divers planqués, absentéistes, trente-cinqueuristes, RMIstes volontaires (ça se dit RSAistes?) et vacanciers de tous poils! Et de nous rappeler que la frustration, la colère et la jalousie des uns font les gros sous des autres.
Nous le saurons (nous le savons peut-être déjà), le bouc-émissaire du moment, c'est le fonctionnaire, l'intermittent du spectacle, le chômeur, le parent au foyer, le malade chronique et bien d'autres feignants encore!

Loué soit le grand, le beau, le bon travailleur. Celui qui se donne à fond au risque d'y perdre sa santé mentale, celui qui échange volontiers congés, amis, famille ou balade avec le chien contre 42h de travail hebdomadaires (à une dizaine d'euros l'heure supplémentaire, c'est que du bonheur), celui dont on aime à dire que c'est le meilleur élément de la baraque, le plus courageux de la famille...etc.
Eh bah! C'est qu'il (elle aussi, bien sûr) doit l'aimer son travail pour le chouchouter à ce point!
A moins que... p'têt ben qu'non finalement... Ou bien pas suffisamment.

Un petit exemple pour illustrer la chose : Lulu et Lili sont jumelles (oui, je sais, c'est nulle, mais je tente de faire preuve de pédagogie, alors la ferme). Le jour de leur anniversaire, Lulu reçoit un ours en peluche géant et Lili un vélo. Lulu était contente de son nounours jusqu'à ce qu'elle aperçoive le superbe vélo de sa soeur. Mais comme elle n'est pas du genre à quémander, elle se contente de répéter à qui veut l'entendre : "Un vélo, c'est pas si bien, tu ne peux pas en faire quand il pleut et c'est parfois dangereux. Moi, mon ours, il est tout doux et je peut jouer avec tout le temps, même qu'on vit des tas d'aventures et de toute façon moi j'aime pas les vélos, c'est pour les ploucs. Hein, c'est vrai?". Une façon, certainement, de se convaincre que son cadeau est bien mieux que celui de sa soeur, alors qu'au fond d'elle, Lulu sait déjà ce qu'elle demandera au Père Noël.
La fable est naïve, certes, et il manque le côté moral de la situation. En effet, si l'on encense continuellement les VRAIS bosseurs, c'est avant tout pour souligner le fait qu'ils ne doivent rien à personne (même si parfois, il s'agit de survivre avec le SMIC ou, au contraire, de ronfler au Sénat). On tente donc de nous insuffler une valeur du travail. Rester chez soi (ou ailleurs) à faire ce qu'on aime pendant que les autres triment comme des mules, ce n'est pas correct, c'est même très mal. Résultat, moi, je culpabilise quand je suis malade! Et surtout, pour me changer les idées, j'essaye de comprendre comment c'était avant...

Vous savez, l'époque où les maîtres ne fichaient rien et les grouillots (voir les esclaves) se tapaient tout le boulot. Jadis, effectivement, c'était prestigieux d'être oisif (et riche) et plutôt mal vu d'être travailleurs (généralement pauvres). Depuis, bien sûr, les classes moyennes, l'égalité des chances, les diplômes, la noblesse guillotinée et j'en passe...
Puis un jour, on en est arrivé à ce constat préoccupant : "Si tu ne travailles pas (assez), tu ne fais rien ; si tu ne fais rien, tu n'as pas d'argent ; si tu n'as pas d'argent, tu dépends du système ; si tu dépends du système, tu profites de ceux qui triment et donc de MOI" ou en raccourcis "Si tu ne travailles pas, tu profites de MOI".

Au final, si j'étais la provocation incarnée, je pourrais répliquer à ces rabats-joie, ces maniaques de la fiche de paye, ces récalcitrants de la pause café, que je me suis fardée trois années d'études supérieures (qui ne mènent nulle part) pour avoir le droit de rêvasser ou de traîner sur Internet pendant mes heures de "bureau". Je n'ai, d'ailleurs, pas le don de doubler les salaires des autres et ce juste en me donnant à fond. Pire encore, même si j'en étais capable, je ne suis pas certaine que cela suffirait à empêcher quiconque de continuer à se torcher le cul avec leur CV et leur bonne volonté.

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