En verre et contre tout !

« La fée dit alors à Cendrillon :
- "Eh bien! voilà, de quoi aller au bal : n’es-tu pas bien aise ?"
- Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ?"
Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en des habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. »


De verre. De verre ?!? De verre ou de vair ? … Cette fameuse polémique a encore de beaux jours devant elle. Au bout d’un moment,  on s’en moque un peu de savoir si Cendrillon portait des souliers en culs de bouteille ou en chinchilla. Même si à mon avis, porter de gros chaussons en peluche n’a rien de très élégant pour aller danser. D’accord, le verre, ça fait très mal aux pieds et ça se fracasse aisément sur les pavés, mais…
Bah on a qu’à pousser le vice jusqu’à dire qu’il est impossible de tailler un carrosse décent dans une citrouille, que les bonnes fées n’existent pas…etc. Bref, c’est un CONTE et finalement, des chaussures en verre magique, c’est tout de même plus féerique que des moon-boots, non ?

La véritable polémique, messieurs-dames, celle qu’on a tenté (ou pas) de dissimuler durant des siècles, je m’apprête à vous la dévoiler. Ce sera la découverte de l’année, mais je m’évertue à faire durer le suspense, sinon c’est pas drôle.
Bon. Procédons par étapes.
Vous vous souvenez : cette petite garce de Cendrillon s’est appropriée le Prince Charmant  - qui n’a pas de nom, c’est comme ça… Ou alors, mademoiselle était trop occupée à le bécoter (ou pire) pour prendre le temps de le lui demander ; ah quelle jeunesse dépravée !  - durant toute la durée du bal.

Tu parles d’une soirée ! Tu te pointes à un anniversaire, t’as apporté un petit cadeau et trois paquets de chips, et pas moyen d’échanger deux mots avec le maître des lieux, qui court la gueuse en pantoufle de… verre, dans le jardin. Pour compenser, tu décides donc d’aller compter fleurette aux laissées pour compte, et nous savons qu’elles sont nombreuses : toutes les demoiselles du royaume en âge de se marier ! Ça veut dire toutes les bonnes femmes qui ont entre 15 et 50 piges. Oui, car Cendrillon a seize ans (comme quoi, dans cet univers singulier, le détournement de mineur n’a pas encore été inventé), certaines de ses petites camarades un peu moins et, concrètement, hormis les sorcières, les fées et les proches de la Belle au bois dormant, on croise bien peu de représentants du troisième âge dans les parages. A croire qu’ils capotent tous avant la retraite, ce qui n’est pas totalement en décalage avec l’époque supposée des faits.

Cendrillon, donc, s’accoquine avec un parfait inconnu, mais comme c’est un noble, "tout va bien, y’a rien à craindre", pense-t-elle naïvement. On voit bien qu’elle n’a jamais participé aux soirées "champagne, sexe et cocaïne" des jeunes nantis parisiens ! Eh non, forcément, c’est une boniche, elle n’a jamais quitté son petit manoir poussiéreux et ses seuls amis sont les oiseaux qui poussent la chansonnette avec elle tous les matins : elle a encore tant de choses à apprendre sur les grosses-teufs-de-la-mort et les hommes, ces créatures assoiffées de luxure et d’émotions fortes.
A minuit pile, on ignore si c’est le côté trop entreprenant du prince qui l'a fait dessoûler ou si elle prend alors conscience que son rimmel est en train de se faire la belle ; toujours est-il qu’elle se souvient subitement de ce que lui a dit la vieille peau déguisée en Frère Tuck à paillettes : le charme se dissipera à minuit.
Ni une ni deux, elle dévale les escaliers, le jeune Dom Juan sur les talons, lui balance une chaussure en guise de 06 (dans laquelle elle a transpiré pendant des heures, hein ! pour le glamour, on repassera !) et se carapate en citrouille décapotable, quatre souris sous le capot (ou lézards, selon les versions).

Le Prince Charmant qui, contre toute attente, est loin d’être complètement volage, n’en démord pas : il veut épouser l’inconnue à la chaussure. Et comme, évidemment, on leur passe tous leurs caprices, à ces gosses de riches, le roi finit par céder et envoie des émissaires à sa recherche dans tout le pays.
De son côté, Cendrillon se pâme d’amour pour le jeune homme mais, de retour dans son train-train quotidien, doit se faire une raison : jamais plus elle ne le reverra. Est-il nécessaire de rappeler que la belle est affligée de trois abominables Cerbère : deux demi-sœur et une marâtre qui la détestent ? Non. Mais c’est trop tard !

Comme ses sollicitations demeurent lettres mortes, le petit prince prend le taureau par les cornes et s’en va courir la campagne avec, pour étendard, la seule trace qu’il conserve de sa bien aimée : son soulier de verre, demeuré intact. Il le fait essayer à toutes les jeunes filles du royaume. Hein ? … Là, déjà, z’avez peut-être mis le doigt sur ce qui cloche. TOUTES les filles du royaume essayent la pantoufle de celle avec qui il a traîné TOUTE la soirée. Et après de nombreux retournements que je vous épargne (car si je poursuis sur ma lancé, je ne suis pas près de conclure), Cendrillon enfile sa chaussure et le prince RECONNAÎT enfin la fille dont il est AMOUREUX !
Ayé, vous avez compris le gros du problème ?

Alors primo, s’amouracher de quelqu’un uniquement parce qu’on le trouve trop canon, c’est pas très malin. Qui sait si le Prince n’est pas un gros taré de dictateur psychopathe et complètement crétin qui massacrent des chatons et des bébés hérissons ?
Mais lorsqu'on est infichu de reconnaître la fille dont on est prétendument amoureux du premier coup d’œil et qu’on est contraint de lui faire essayer une godasse pour en être parfaitement sûr, vous conviendrez que c’est un peu absurde. Bon, au moins, ça a le mérite de ne pas être trop beauf : c’est vrai, après tout, il aurait pu avoir une révélation en lui tripotant les seins ! Ç’aurait été moins poétique, certes…mais peut-être plus proche des… préoccupations actuelles (« 90 C ?!  Pas de doute, c’est bien elle !!! »)
Alors bien sûr, vous allez me dire qu’il n’est pas indispensable que le Prince soit un mufle pour ne pas réussir à identifier sa dulcinée. Il y a même plusieurs explications logiques (ou tout du moins, plausibles) à cet étrange phénomène :
- Tout d’abord, il faisait sombre, il ne l’a pas bien vue.
- Toujours dans la même veine, le Prince est aveugle (ou totalement myope).
- Ou alors, il l’a confondue avec une autre ; celle avec qui il a passé le reste de la nuit. D’ailleurs, c’était peut-être celle-là qu’il espérait épouser…
- Autre option qui colle à la réalité, il était complètement beurré ! L’alcool n’a jamais empêché quiconque d’avoir un coup de foudre.
- Ou enfin, Cendrillon était maquillée comme un camion volé.

Oui, ce serait parfaitement cohérent. Imaginez : la bonne fée apprête Cendrillon pour le bal. Comme c’est une personne de goût, elle n’omet aucun détail : bijoux, parfum, coiffure, maquillage. Toutefois, la pauvresse est bien marquée par ces années de servitude. Grosso-modo, elle a des cernes, de l’acné, la peau ruinée par les produits détergents, les cheveux en botte de paille…etc. Il lui faut une solution radicale. Fer-à-lisser, fond de teint, poudre, mascara, blush, rouge à lèvre et re-fond de teint par-dessus (pour être bien sûr). Bref, Cendrillon a triché ! Elle fait partie de cette espèce d’individu qui au petit matin, ne ressemble absolument pas à ce qu’on avait cru entrevoir la veille. Elle tire bénéfice de l’obscurité et de l’état d’ébriété prononcé de sa victime, et franchement, c’est pas joli-joli ! 
Je dirais même que c’est carrément malhonnête vis-à-vis du Prince Charmant qui s’attendait à retrouver la jolie pin-up du bal. Mais comme il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une petite ordure, potentiel meurtrier de bébés hérissons, qui profite des rêves de princesses des jeunes filles en fleurs et qui a la prétention de vouloir les épouser après avoir passé seulement trois heures en leur compagnie, et ce juste parce qu’elles ont l’air fortunées et bien roulées…
Pour toutes ces raisons, donc, j’éprouve quelques menues difficultés à me montrer compatissante.

De mauvaises langues (dont Monsieur Charles Perrault himself) prétendent que le Prince n’était pas sur place lorsque Cendrillon essaya la pantoufle et qu’il la reconnue fort bien lorsqu’il la revit ensuite.
A ceux-là, je répondrais qu’il faudrait être sacrément bête et feignant pour envoyer quelqu’un rechercher à sa place son grand, son beau, son unique amour ; et en admettant que ce soit bel et bien le cas…bah, les portraits robots, c’est pas pour les chiens !
Si vous trouvez ces arguments fallacieux, je n’aurais qu’une chose à ajouter : quoiqu’il en soit, ma vision des choses est bien plus amusante ! Et toc !

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