Mythic.com : Mon labyrinthe

Je suis seul. Il fait froid.
Je suis seul, dans le  noir et j’ai froid.
Je suis perdu. Je suis sûrement déjà passé par là des centaines de fois. J’ai peur. J’ai vraiment peur de ne jamais m’en sortir. Je voudrais me rouler en boule sur le sol et pleurer. Je pleure. J’attends. Peut-être qu’on reviendra me chercher. Je ne sais même pas depuis quand j’attends. 

J’ai tellement faim. Froid, peur, seul, faim. J’ai tout le temps faim. Il peut s’écouler des jours…il doit s’écouler des semaines sans que je ne puisse avaler quoi que ce soit. Parfois, je tombe sur un petit gibier. Je lui tord le cou. C’est rapide, vous savez. Il ne souffre pas. Je n’aime pas faire souffrir les animaux. Moi, on m’a tellement fait de mal sous prétexte que je n’étais pas comme les autres. Mais là je n’ai pas le choix : il faut que je mange, il faut que je survive.
Souvent je me demande : A quoi bon ? Pourquoi vivre ? Pourquoi comme ça ? Seul, triste, affamé, frigorifié, dans le noir. Je devrais m’allonger par terre et me laisser crever. J’y pense souvent. Parfois j’essaye. Et puis je craque. Ou alors, je recroise un petit animal et je le dévore. Ce doit être ça qu’on appelle l’instinct de survie…

Je lui brise la nuque d’un geste sûr. J’ai la technique, depuis le temps. Il pousse à peine un cri de surprise…puis il est mort. J’ai des scrupules, mais comme c’est rare de trouver quelque chose à  manger, je dois me faire une raison : c’était lui ou moi. Je n’avais pas le choix.
J’aimerais mieux le faire cuire, mais c’est impossible. Je dois le manger cru. On s’y fait. J’aime pas trop l’odeur du sang qui s’imprègne sur mes mains, mon visage, partout sur mon corps...  Je dois faire avec. Je me rationne. Les premiers temps, je mange la chaire. Il faut trouver le juste équilibre : la faire durer, car on ne sait jamais quand j’en rencontrerai un autre ; mais aussi la finir avant qu’elle ne se gâte.
 Une fois la chaire terminée, les abats consommés… ne reste plus que les os. C’est une période difficile. Tel un enfant avec sa tétine, je les suçote longuement, les uns après les autres, pour les vider de leur moelle et me consoler de cette faim qui, à nouveau, me laboure l’estomac.

Pour tromper la mort et la folie qui me guette, tapies dans l’obscurité et la solitude, manger ne suffit pas. Je dois m’occuper. Si j’avais pu y voir clair, j’aurais compté les jours sur les parois. Ici, le temps passe lentement , mais je peux affirmer, sans trop me tromper, qu’il se chiffre davantage en années qu’en mois. Il y en aurait eu, des bâtons par lots de cinq alignés sur les murs ! J’aurais pu dessiner. Petit, je n’étais pas mauvais. J’aurais dessiné des fresques immenses…avec ce sang poisseux qui me colle la nausée. Autant qu’il serve à quelque chose.
Mais non. Je n’y vois rien. Alors je me raconte des histoires, je ressasse mes maigres souvenirs qui, peu à peu, fondent comme neige au soleil. Oui, parce que tout seul dans le noir, le froid et la faim, je vous assure que progressivement, on peine à distinguer ce qu’on a réellement vécu de ce qu’on a simplement imaginé. Ensuite, c’est encore plus vicieux, on perd non seulement des morceaux de son passé et les personnes qui l'ont habité, mais aussi son identité et même les mots. Tous les matin... Enfin, je crois que c’est le matin. Mes journées doivent être décalées. Disons plutôt, à chaque fois que je m’éveille, je lutte contre l’amnésie et l’aliénation : je me répète mon nom trois fois pour ne pas l’oublier. Désormais, c’est presque tout ce qu’il me reste d’un langage articulé : un nom.
Aujourd’hui, j’ai eu du mal à le récupérer. J’en ai essayé d’autres, mais je savais que ce n’était pas les bons. Puis je l’ai enfin retrouvé. As…té…rion… Astérion.  ASTERION. Je soupire, las. En vérité, j’ignore si c’est là mon vrai nom. Mais c’est celui qui me ressemble, je trouve. Peut-être que finalement, c’est moi seul qui me le suis choisi.

J’ai passé de longs moments à me remémorer les épisodes joyeux de mon enfance. Toujours les mêmes. Il n’y en a pas eu tant que ça. Peut-être trois. Une fois, j’en ai perdu un, sans même m’en rendre compte. Puis ce fut le tour du deuxième, ce qui me fit grand peine. La fin de l’histoire s’est volatilisée. Le milieu est devenu plus flou et ainsi, de fil en aiguille, jusqu’à ce qu’il ne m’en reste qu’un vague sentiment d’apaisement. Je me suis raccroché désespérément au dernier, mais il a également fini par m’échapper.
Depuis, ce sont plus des impressions, des instants de réconforts qui me maintiennent en vie, certainement des réminiscences de ces souvenirs éteints. Par exemple, je me revois dans les bras chauds, mous, doux et roses d’une femme. Elle m’enrobe de son amour, elle me protège et me couvre de baisers. Ça fait comme des battements d’ailes de papillons, partout sur le corps.
Souvent, lorsque le désespoir m’envahit, que je cri, que je pleure, que j’appelle la mort à pleins poumons…Il suffit que je repense à cette femme sans visage… Juste une silhouette, un parfum infime (peut-être un mélange de mimosa et de romarin), une douceur singulière… Que je repense simplement aux bras duveteux de cette mère aimante, et alors, je sèche mes larmes, je ravale peur, colère et douleur au plus profond de moi et  je retrouve un semblant de calme.
Tenez, rien que d’en parler, je me sens déjà mieux.

L’alternative aux souvenirs trop fragiles, ce sont donc les contes. Je m’en invente constamment. Lorsque j’en commence un, j’y passe probablement des heures. Si je pouvais…si je savais encore écrire, je ferais un conteurs formidable. Néanmoins, l’imagination comporte deux inconvénients majeurs : tout d’abord, à l’instar du langage, elle s’appauvrit considérablement  si elle n’est pas stimulée. Au départ, je pouvais inventer toutes sortes de héros, vivant toutes sortes d’épopées, dans toutes sortes de contrées. A présent, mes fictions n’abordent que deux sujets : les tentatives d’évasion et la chasse. Je parviens d’ailleurs de moins en moins à leur trouver des fins convenables. J’en nourris de grandes frustrations, mais je persiste malgré tout. Entre ça et la folie complète, le choix est … 


Chut !!!

Vous entendez ? Mais si ! Des pas. Des pas qui avancent vers moi. Je les perçois de plus en plus distinctement. Et si c’était…Eux ! Peut-être reviennent-ils me chercher ? Peut-être se sont-ils rappelés que j’étais perdu ? Peut-être se sont-ils inquiétés…Peut-être…Enfin. Ou alors… Ce serait… Une proie.
J’hésite a crier. J’hésite à appeler. Si c’est une proie, je la ferais certainement fuir. Et j'ai si faim. Mais si c’est de l’aide… Je ne veux pas qu’ils repartent sans moi. Non, je ne veux pas. Je n’en peux plus. Je ne pourrais pas rester là. Pas plus longtemps. Pas ça. Je marche en direction des pas. Je les entends qui approchent. Je distingue même une lueur. Une torche ! Des larmes silencieuses inondent  mes joues. Pitié, faites qu’ils viennent pour moi. Pitié, faites qu’ils me sauvent. Pitié, que ce ne soit pas simplement une proie…mais bien la liberté. Enfin !
 

Le bruit s’arrête. D’un coup. 
J’ai envie de hurler. Ne partez pas ! Pas sans moi ! sespéré, je m'appuie contre un mur glacé et me met à sangloter. Quelque chose de fin, de doux, de léger me chatouille le bras. Je le saisi d'une main tremblante. Un fil ? Où va-t-il ? Je progresse à tâtons, sans lâcher le fil. La lumière s'intensifie, mais je n'y suis plus habitué. Tout est complètement flou. 
Soudain, une ombre. Une proie ?

La proie me saute sur le dos, comme elle se hisserait sur un cheval nerveux. Enserre ma gorge d’un des ses bras musclés et de l’autre, me roue de coups. Je lutte. Pourquoi ? Que me veut-elle ? Je grogne. Je voudrais la supplier d’arrêter, mais je n’ai plus les mots. Elle gémit. Moi aussi. J’agite les membres lamentablement, tandis qu’elle resserre encore et encore son étreinte. Je suffoque. Une main, si fine, si insignifiante, m’écrase le nez. Je peine…à respirer. Alors j’ahane  le seul mot que je connais encore : « Argh…asthhh…rrriiooonrgh »
Mais la proie ne m’écoute pas. Ou bien elle ne comprend pas. Ou alors c’est moi qui ne suis pas compréhensible… 

Elle veut me tuer. Je ne sais vraiment pas pourquoi. Je n’ai fait que survivre. Je n’ai fait qu’attendre seul, misérable, dans le froid et l’obscurité, la fin de mon calvaire. Pourquoi une proie voudrait-elle me tuer ? Moi, c’était la faim qui m’y poussait mais elle, elle ne me mangera même pas. Serait-ce par esprit de revanche ? A quoi cela rime-t-il ? Je sens mes forces m’abandonner, je ne me débats même plus. Ce goût, cette odeur de sang, encore. Mon sang. A quoi cela rime-t-il, bon sang ?

Commentaires

  1. Ca va faire 3 mois sans nouveau texte, j'espère que c'est parce que tu mets toute ton inspiration dans un roman en ce moment !

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    1. Euh...oui... enfin non, pas vraiment :-s
      On va plutôt dire que c'est parce que je mets toute mon énergie dans mes courses de Noël. Mais je pense tout de même très fort à un projet plus long (même si je patauge pas mal)

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