Promenons nous dans les bois

Je suis le petit chaperon rouge. On m’appelle comme ça parce que….enfin vous savez pourquoi ! L’histoire, vous la connaissez. Je me promène dans la forêt, je flâne un peu trop longtemps, je finis par faire une mauvaise rencontre et il y a toujours un moment où je me fais bouffer. Des fois je m’en sors, d’autres non. C’est comme ça. Et je vous parle même pas de ma pauvre mère-grand ! Entre la grippe, la bicoque paumée en pleine cambrousse et le visiteur indélicat, on peut dire qu’elle a décroché le pompon à la loterie des personnages de contes malchanceux.

Je suis le petit chaperon rouge et j’en ai ma claque, vous comprenez ? C’est toujours la même rengaine. « Ne t’éloigne pas trop du sentier ; ne papillonne pas trop ; ne parle pas aux inconnus ; fais attention au… GRAND MÉCHANT LOUP ! »
Mais c’est quoi d’abord que cette histoire de grand méchant loup ? Un type louche amateur de chair fraîche qui traîne dans les sous-bois et colle les jeunes filles dans mon genre d’un peu trop près. Un type glauque qui peut tout aussi bien ne faire qu’une bouchée des vieilles dames, si le désir se fait trop intense. Un type….un type…un type comme des centaines ! Pas besoin d’aller au fin fonds de la forêt pour tomber nez à nez avec un clébard désespéré qui ne rêve que d’une chose : s’exciter compulsivement sur ta jambe.

Un gros pervers pitoyable et envahissant qui te alpague à coups de lieux-communs débilisants, voilà ce que c’est qu’un grand méchant loup :
« Eh mademoiselle, vous allez où comme ça ? »
Au pays des bisounours !
 « Et vous passez souvent par ici ? »
A l’avenir, je tâcherai d’éviter, vue ce qu’on y croise…
« Vous vivez chez vos parents ? »
Évidemment, j’ai 12 ans, imbécile !
« Je vous accompagne »
Je vous mets mon pied dans les noix ?
 
J’en ai ras-le-capuchon, moi, de devoir dire « bonjour » bien poliment, de devoir décliner les propositions trèèèès aimablement, de poursuivre mon chemin l’air de rien, alors que je sais pertinemment que ce maniaque de la rencontre quasi-fortuite va s’empresser de me suivre ou va se pointer tout essoufflé au prochain carrefour, « comme par hasaaaaaard ».
Alors oui, je vous entends d’ici. Môman m’avait bien dit de ne pas traînasser, de ne pas parler aux inconnus. Mais la môman du grand méchant, où qu’elle est donc passée ? A quelle moment s’est-elle dit que c’était vachement plus sympa de faire des crêpes que d’enseigner à son grand dadais de fils qu’on n’enquiquine pas les inconnues, qu’elles aient 12 ou 112 ans, qu’elles soient chez elles ou au café du coin, en pleine nature ou dans la rue ? Pourquoi n’a-t-elle pas pris cinq minutes pour lui expliquer que suivre les gens et les bouffer sans leur consentement, c’est quand même pas très correct !?

Ce serait donc à moi de faire attention, de ne pas sortir des sentiers battus, de ne pas rentrer trop tard, simplement parce que les grands méchants loups ne comprennent pas le sens d’un simple « non » ? C’est tellement injuste ! Moi aussi je veux traîner dans les bois jusqu’au bout de la nuit ! Moi aussi je veux discuter avec ceux que je croise, sans arrière-pensée et sans pour autant vivre dans l’angoisse de me faire harceler, éviscérer, dévorer ! Môman, c’est tout de même pas compliqué ! C’est tout de même pas le Nil que je te demande. Je sais bien que tu n’es pas une bonne-fée, que tu ne peux rien y faire…. à part peut-être… enfin… Juste convenir que ce n’est vraiment, mais alors vraiment pas, de ma faute à moi, si ce cabot-là a décidé de me prendre pour proie, n’est-ce pas ?

Et ne me faites pas le coup du « Nan mais t’as vu comment t’étais sapée, aussi ? » Bon déjà, le rouge, c’est une tradition familiale. Et puis, zut alors ! Ne me faites pas croire que dès qu’il vois du carmin, ce loubard a subitement la glotte qui se dilate ! C’est quand même pas un taureau (d’ailleurs, soit dit en passant, même le coup du taureau, ce n’est qu’une légende). Et il ferait beau voir que je ne m’habille pas comme je veux !
De toute façon, qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? Vous trouvez qu’un chaperon rouge et une robe à volants, c’est trop provoquant pour une pré-ado ? Je devrais plutôt opter pour le survêt’ trop grand de mon frangin ou la robe de bure caca-d’oie de tante Séraphine ? Vous pensez réellement que ça aurait une quelconque incidence sur les soudaines et incontrôlables fringales de mon méchant loup ? Vous me faites marrer ! Sans vouloir être impolie, allez plutôt faire un tour dans les bois, voir si par hasard, j’y serais pas !

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