Un clic, ami-ami

Mes amis, l’heure est grave.
Pour tuer l’ennui et surtout parce que sur le coup, cela me paraissait être une idée tout aussi valable qu’une autre, je viens de passer une heure sur un site communautaire dont je tairais le nom, non seulement parce que j’ai honte d’y être inscrite mais en plus, parce qu’il est assez connu pour que je puisse m’abstenir de lui faire davantage de pub.
Oui, j’ai honte et je présente mes plus sincères excuses à la communauté des misanthropes réfractaires aux modes quelles qu’elles soient. Toutefois, cela m’a au moins donné un semblant d’idée pour la chronique d’aujourd’hui, à savoir un court traité sur les blogs, MSN, Facebook, Copains d’Avant et compagnie…

Pour faire simple, j’ai passé l’heure précédente à faire des tests psychologiques débiles réalisés par des internautes analphabètes et parfois même convaincus que ceux qui auront la bêtise de répondre à leurs questionnaires sont tous en troisième et n’ont rien de mieux à faire le samedi soir que de participer à des beuveries de cas sociaux complexés et sans espoir d’avenir. Je vous entends d’ici : tout est entièrement de ma faute et j’en assume la responsabilité. C’est vrai qu’il y a toujours mieux à faire que de répondre à ce genre d’idioties, qu’elles soient rédigées par un spécialiste en la matière dans Femme Actuelle ou par une gamine sur un site douteux. Dans un cas comme dans l’autre, la personne ne vous connaît pas, n’a aucune idée de votre passé, de votre présent, de ce qui fait votre spécificité et n’en saura pas plus avec trois ou quatre petites cases pour sept ou huit questions. J’ai généralement tendance à dire qu’un individu est trop complexe et, évidemment, trop gros pour parvenir à se tasser à l’intérieur ; mais, bizarrement, comme beaucoup de jeunes gens, le plus souvent des jeunes filles (du moins, je le suppose, vu le succès actuel de la presse féminine et notamment de ce type d’article), je ne peux pas m’empêcher d’essayer.

Admettons que ce soit, soi pour vérifier ce que l’on sait déjà (Etes-vous timides ? Etes-vous vraiment amoureux ?...etc) et donc s’assurer d’être bien, de façon incontestable et universelle ce que l’on pensait être (et si le test n’est pas d’accord, c’est qu’il est vraiment trop nul, cela va sans dire !), soi afin de trouver sa place dans ce monde impitoyable, et donc pour se rassurer, se dire qu’on fait partie intégrante d’une communauté, d’une génération (Quel personnage de série êtes-vous ? Quelle idée tes amis se font-ils de toi ? Quel méchant de Disney sommeille en vous ?...), soi par curiosité lorsque l’intitulé du test est assez mystérieux et alléchant (Etes-vous plutôt Ying ou Yang ? Dis-moi comment tu écris, je te dirais qui tu es ; ou encore, plus surprenant : Ne faites surtout pas ce test !)
Dans tous les cas, ce doit être l’idée de pouvoir percer les innombrables secrets de son être qui nous motive. Une thérapie bas de gamme en somme. Et si par-dessus le marché, on peut également comparer son résultat avec le voisin, alors tout va bien. On se décrypte tous ensemble, on se ressemble ou on s’oppose mais au moins, on identifie celui qui nous fait face ! En fait, le test dit « psychologique » s’inscrit impeccablement dans la logique d’un réseau social comme Facebook (oups, j’ai cafté !), où le but est d’avoir le plus « d’amis » possibles. Ainsi, on se retrouve avec des individus, dont on n’a pas eu de nouvelles depuis des millénaires, sur le dos. Certains, même, n’ont jamais donné de … nouvelles, puisqu’on n’ignorait jusqu’à leur existence. Ils sortent de nulle part, du répertoire bien rempli de l’ami d’un ami, du dernier rang d’une photo oubliée de l’école primaire ou du fin fond du jardin d’enfance. Ils s’incrustent un beau matin pour ajouter une dizaine supplémentaire à leur nombre de contactes, faire croire à leurs proches que l’humanité toute entière les adore, et puis se volatilisent aussi sec. Ça tombe bien, on n’avait pas l’intention de leur adresser un seul mot, de toute façon !

Facebook et les autres du même acabit nous proposent des amis en kit. On a l’impression de faire ses achats chez Ikea, de meubler son catalogue relationnel comme on rempli son intérieur. On tasse le tout, on consomme et l’on s’aperçoit rapidement qu’on a fait l’acquisition d’une table de nuit qu’on n’utilisera pas. Qu’importe ! On la revendra se week-end sur Ebay !
Le test « made in Facebook and Jeune&Jolie » n’est autre que le mode d’emploi fournit avec le mobilier. Il indique à l’acquéreur comment visser le bitoniot dans le machin pour garantir un fonctionnement optimal de la chose. Seulement, à l’origine, on remplissait son test sur la page d’un magasine, seul ou entre amis…entre amis relativement proches, j’entends, et pas en réseau avec la moitié du monde connu comme public. Tout comme les billets d’humeur, les photos, vidéos et diverses informations qu’on diffuse à tout va sur sa « page », il offre un résumé concis de tout ce qui, à l’origine, pouvait faire de vous un être complexe et original. Vous n’êtes plus qu’un patchwork, un groupement de petites cases, un inconnu sur papier glacé numérisé, un numéro parmi tant d’autres pour quelqu’un que vous ne connaissez guère davantage.
Et le pire, dans cette histoire, c’est que cela fonctionne. On se laisse tous appâter par ces relations faciles, ces amitiés fast-food qui naissent en moins d’un quart d’heure, tandis que d’autres incapables mettent près de cinq ans à y parvenir!

Finalement, un doux et beau mirage de plus au sein de cet univers magique, passé maître dans l’art de l’illusion, du faux-semblant et de la sociabilité pré-mâchée. J’ai nommé : Internet.

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