Lettre de motivation

Marcher bien droit. Marcher au pas.
Suivre le troupeau. Ne surtout pas essayer de tirer son épingle du jeu. Ne surtout pas essayer de leur montrer qu'on peut être différent. Pas forcément mieux... mais juste autre.
Suivre sagement la route, les règles, le modèle.
Infirmier, bibliothécaire, pharmacien: bac+3. Professeur, journaliste, avocat: bac+5. Ingénieur, architecte, chercheur: bac+8. Tant d'autres... Traine-savates en tous genres: bac tout court!
Et c'est ainsi. Pas autrement, ça non! De belles petites cases bien délimitées, où se tasser, tous comme il faut, quelles que soient nos rêves, nos ambitions, nos capacités.
Diplômes, concours et entretiens. Tester, évaluer, noter la masse grouillante, la classer, la hiérarchiser. Placer au dessus du lot ceux qui réagissent bien au traitement. Pas forcément en accord avec ce qu'ils feront par la suite, mais simplement conformément à ce qu'on attend d'eux à cet instant précis. Être scolaire, carré, méthodique. Cela ne veut absolument pas dire qu'on sera plus talentueux qu'un autre, mais c'est une manière comme une autre de faire le tri entre ceux que l'on garde et ceux que l'on jette!
Ceux-là même qui iront pointer à l'ANPE dès demain et trouver un boulot ingrat, mal payé et pas passionnant pour deux sous (du moins, de leur point de vue déçu), ceux qui, puisque pas assez ceci ou cela, peuvent très bien être rangés n'importe où, à partir du moment où ils font quelque chose de leurs dix doigts, se rendent utiles et cessent enfin de se la couler douce!
Car après tout, qu'est-ce qu'on en a à cirer qu'ils soient doués ou non en quelque chose? S'ils tenaient tant que ça à passer leurs vies à faire un boulot intéressant et donc trop bien pour eux, z'avaient qu'à se secouer un peu les puces à l'école, au lycée, à l'université. Rentrer pronto dans le moule qu'on a coulé fort aimablement pour eux, plutôt que de sécher les cours ou de les passer à faire des sudokus. Se démener pour décrocher des diplômes, concours, entretiens... et surtout arrêter de rêver parce que, quand on veut quelque chose, on se démerde pour y avoir droit. En bref : suivre la masse de ceux qui ont compris que sans études, on est rien, qu'un bout de papier tamponné nous ouvre grandes les portes de la réussite professionnelle et que faute de talent, on peut toujours agiter son CV sous le nez de l'employeur.
Peu importe ce que l'on voulait faire au départ. Peu importe qu'on aurait volontiers sué sang et eau pour y parvenir. Dans ce monde où tout file droit, on a définitivement cessé de se bercer d'illusions. On évite de se remettre en question ou de prendre la peine de secouer un peu les règles. Après tout, se dit-on, c'est peut-être mieux ainsi : archéologue, cosmonaute, pompier, styliste, écrivain... De toute façon, nous n'en sommes pas capables. Et si tous ceux qui sont censés l'être, malgré tous les papiers officiels dont ils disposent, ne font finalement pas plus l'affaire que n'importe quel autre pantin, c'est probablement parce que la toque de diplômé ne fait pas toujours la recrue idéale.

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