I don't miss you

Mademoiselle passe à la trappe.
D’aucuns diront qu’il était temps, d’autres qu’on avait le temps. Finalement, beaucoup conviendront que ce n’était pas une priorité. Les maltraitances, les salaires, la libre disposition de son corps, les mentalités… Tant de combats qui auraient pour mérite de faire avancer les choses. Alors que, franchement, Mademoiselle… quoi de plus futile ? Pour certains, une vraie querelle de midinettes et de vieilles peaux de vache ! Pourtant la question n’est pas là.
N’a-t-on pas le droit de mener de front de grandes comme de petites luttes ? On n’est pas obligé de dire non à l’une pour se consacrer à l’autre.

Non, Mademoiselle n’est pas, du moins administrativement parlant, respectueux de la vie privée d’autrui. Mademoiselle pointe du doigt ma situation sentimentale, mes choix personnels et mes convictions en matière de mariage. Mademoiselle est aussi une façon détournée et dépassée de supposer que la voie est libre ou encore que la marchandise n'est plus de toute première fraîcheur. Mademoiselle, enfin, ne se justifie plus désormais, puisqu’à vingt ans, on peut être une "Madame" mariée avec deux enfants, et à soixante, une "Mademoiselle", célibataire et sans descendance. Mais qui s’en soucie ? Qui cela regarde-t-il ? Je connais des "Madames" qui ont une mentalité d’adolescente et des "Mademoiselles" qui sont de vraies Dames. Je connais des "Madames" qui ont gardé leurs noms de "Mademoiselles" et des "Mademoiselles" qui sont en couples depuis quinze ans.

Mademoiselle passe à la trappe. C’est ainsi. Le nom de jeune fille, le nom d’épouse aussi. Seul subsistera le nom d’usage. Comme pour un être ordinaire. Comme pour un homme.
Eux, en effet, n’ont jamais eu ce genre de problèmes. On ne demande pas à ces Messieurs leurs noms de "Damoiseaux". On ne se mêle en aucun cas de leur vie maritale. Aucun formulaire ne semble leur cracher au visage :
"Et sinon, toi qui adhère à cette mutuelle, t’es marié ?" Quel rapport ? "Non mais, j’veux dire…t’es installé ? T’as une situation stable ? C'est quoi le p'tit nom de ta régulière? Parce que pour nous, c’est super important." Euh, d'accord mais en quoi? "Bah, on a vraiment besoin de savoir si tu es quelqu’un de fiable. Si t'es un dévergondé ou à l'inverse si t'as des obligations personnelles qui pourraient nuire à notre collaboration. En somme, si t'es prêt à t'engager. Alors ? T’es marié ? T’as combien d’enfant ? C’est quoi ton nom de jeune homme ? Si je demande ça, c’est pour ton bien, hein? Au cas où, on sait jamais… Une simple formalité administrative, pour éviter les pépins..."

Outre l'aspect irrévérencieux de la chose, il y a aussi, vous l'aurez remarqué, son côté archaïque qui tend vers l'absurde:
"Bonjour madame....ah pardon...madame ou mademoiselle?"
"Eh bien, tout dépend de la question, mon brave monsieur: vous voulez savoir si je suis bien une femme, comment je préfère qu'on m'appelle, quel âge j'ai ou si je couche avec le même homme depuis suffisamment longtemps pour être appelée "madame"?"

Bien sûr, chacune est libre de se faire appeler comme elle le souhaite. Si un lot d'adolescentes se complaisent à entendre "Madame" lorsqu'elles entrent dans une boutique ou que certaines femmes d'âge mûr gloussent avec délectation lorsqu'un flatteur leur donne du "Mademoiselle", alors sortons le champagne!
L'appellation n'est effectivement pas en cause; seul le côté administratif dérange. Il renvoie explicitement et étymologiquement les femmes à un passé où elles ne pouvaient se réaliser que dans le mariage et où elles appartenaient à un homme, à un père, à un mari, rien qu'en portant son nom.
Pour beaucoup donc, ce changement n'a rien de fondamental et pour quelques bas du front, il constitue même ce que le féminisme a de plus grotesque et mesquin. A ces derniers, je pourrais répondre que c'est avec de petites batailles qu'on gagne de grandes guerres ou partir naïvement sur des métaphores avec des papillons et des cyclones... Néanmoins, en cette fin de texte, je ne me sens plus d'humeur philosophique, aussi n'aurais-je qu'un mot à leur adresser: Merde.

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