Cette fois...

Texte datant du 11 décembre 2008

Cette fois, c’est décidé, j’arrête tout.
Je me rappelle toutes ces fois où j’y ai pensé sans oser le faire. La peur, le doute, les autres… Mais aujourd’hui, maintenant, je sais qu’il le faut. Je sens qu’il est trop tard, que je ne peux plus avancer, que je ne contrôle plus rien… à part cela. C’est triste, bien sûr, mais c’est comme ça. D’une manière ou d’une autre, j’ai toujours su que je finirai ainsi.
Assis à mon bureau, le stylo entre les doigts, je jette un regard à la fenêtre. Il fait gris. Gris et froid en plus ! C’est à croire que même le temps, même la rue sombre, sale et polluée m’encouragent à « sauter le cap »… Sauter !
C’est décidé, c’est décidé ! Cette fois j’arrête.

Je pose enfin le stylo ; un roller Parker argenté qu’elle m’avait offert pour mon anniversaire, deux ans plus tôt. Je n’ai pas pris la peine de signer. Il va de soit qu’aucune confusion ne pourra se faire avec un autre que moi. Ce serait tout de même assez comique et hautement improbable !
Je me relis. J’ai toujours eu les fautes d’orthographes en horreur, mais je suis aussi très distrait… et pour cause ! Cette fois, j’en dénombre sept. Un comble pour une lettre aussi courte… Je corrige, plis finalement la feuille en deux et l’abandonne sur le bureau. J’entends le bruit sourd de la chaise qui racle le plancher. Le tic-tac de l’horloge rythme mes pas telle une marche funèbre. Une musique triste berce mon esprit. J’me souviens même pas du compositeur. Est-ce seulement important ?
En avant, Tom. Foutu pour foutu… Je m’avance tel un condamné vers la baie vitrée. Le bourreau, ici, c’est moi. C’est plutôt rassurant. L’appartement est en désordre. Je me souviens vaguement avoir tout jeté par terre lorsque j’ai compris. J’ai fait voler les bouquins, les classeurs, les albums photos, envoyé valser les disques, le téléphone, l’ordinateur, fait valdinguer les bibelots de valeurs, ses sculptures, ses vases dont les débris jonchent désormais le sol. J’entends même craquer les morceaux de verre sous mes pantoufles. Dire, alors, que l’appartement est en désordre est en dessous de la réalité ! Mais elle rangera lorsqu’elle reviendra… car elle sera bien obligée de revenir, quand je serai parti…

Il est vraiment moche, cet endroit. Je n’avais jamais remarqué à quel point je détestais ce salon et combien il me collait la nausée. Ces meubles vernis, ce papier peint beige…d’un beige tellement sal, finalement ! et cette affreuse moquette verte, un vrai nid à poussière où toutes les saletés de la vie quotidienne semblent s’incruster inévitablement ! Ces petits napperons en dentelle sur les étagères, ces petits coussins sur le canapé, les fauteuils… Ce n’est plus possible. Je la sens, je la vois partout. Même la salle de bain me rappelle le son de sa voix, lorsqu’elle chante le matin sous la douche. Sa voix…
J’appuie sur la poignée et j’ouvre en grand.
Ça y est, Tom, on y est. Le dernier instant. Le grand saut ! J’avance, penaud, sur le balcon. « C’est décidé, que je me répète, C’est décidé, j’arrête tout ! »
J’ai toujours…toujours su que je le ferai. Je baisse les yeux. Sous mes pieds, sept étages, puis la route. Il y a très peu de monde à cette heure. C’est mieux.
J’imagine mon corps sans vie. Une informe et minuscule tache de sang, vu d’ici. J’imagine sa tête, à elle, son regard pétrifié lorsqu’on lui apprendra la nouvelle. Je la vois en larmes, le visage ravagé par les remords et le chagrin. Elle m’aimera à nouveau ! Ce sera trop tard, mais elle m’aimera, au moins.
Je suis assis sur la balustrade.
« Plus le temps d’y réfléchir, mon vieux, il faut y aller ! »
Je me penche en avant. Tout en bas, une deux-chevaux bleue se profile. Lorsqu’elle tournera au coin de la rue, je lâcherai tout…

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